De fil en aiguille

Quand l’inattendu s’invite dans votre quotidien …

            Pendant trois belles années, nous avons compulsé, épluché, décortiqué des documents parfois plus que centenaires. L’Histoire se découvrait, patinée par le temps :  des portraits jaunis, une calligraphie complexe, riche en arabesques, et même un petit journal taché de sang, comme celui de notre poilu Edouard Binois. Mobilisé de la première heure, il est nommé maréchal des logis. Chaque jour, dans un petit carnet qu’il portait sur lui, il notait au crayon à papier les grandes lignes de sa journée au front. Jour après jour, conscient de vivre des moments historiques, jusqu’au 13 septembre. Le 19, il est fauché dans la cour du château de Roucy, avec deux de ses canonniers.

            Ce carnet, témoignage unique et personnel, c’est son fils Georges qui l’a conservé précieusement dans la famille. Tout comme le texte de la mobilisation, encadré et affiché dans une des pièces de la maison familiale de Meudon, ou encore les nombreux numéros de l’hebdomadaire illustré, « Le Miroir ». Nous voilà au courant des secrets de cette famille. C’est que chez eux, l’histoire familiale est à l’honneur. C’est d’ailleurs son petit-fils, M. Jean Binois qui a rédigé la biographie de son grand-père.

(de gauche à droite) M. Estrade, Mme Binois, Mme Barland, Mme Paré Fernández, M. Binois et ses deux filles, Emmanuelle et Delphine.

            Le 30 septembre 2022, 108 ans plus tard, Mme Barland, M. Estrade et moi-même, nous avons eu le plaisir d’accueillir M. Jean Binois, âgé de 70 ans, accompagné de son épouse et de ses deux filles. Ces dernières ont repris à leur tour le flambeau de la mémoire et ont fait une belle surprise à leur père : partir le temps d’un week-end sur Madrid, sur les traces de ce grand-père parti trop tôt. Un passage au Lycée Français de Madrid s’impose, comme une évidence. C’est là l’occasion pour nous de tenir dans les mains le fameux carnet, trouvé sur le corps de ce poilu.

(de droite à gauche) M. Binois et ses deux filles, Delphine et Emmanuelle.

            Mais, le temps presse. Nos visiteurs ont un programme bien chargé. Fouler les mêmes pavés que cet ancêtre qui a déménagé pas moins de quatre fois sur Madrid : calle Cervantes 1 et calle Nuñez de Balboa 17, entre autres. Se rendre à l’église de Saint-Louis-des-Français, là où il s’est marié avec Francine Célestine Nicolot.

            Un week-end riche en émotions et une certaine plénitude, celle de savoir que la mémoire de cette famille reste vivace.

Henri DUMAS (1894 – 1915)

AVEC LES CONSCRITS DE 1914

par Héloïse Winter, assistante d’éducation au Lycée français de Madrid 

Un jeune artisan zingueur, à peine installé à Madrid avec ses frères, est appelé, à 20 ans, pour faire la guerre à la place de son service militaire. 

Henri Dumas naît le 6 novembre 1894 à Valette, dans le canton de Riom-ès-Montagnes, dans le Cantal. C’est à 16h que Marguerite Chalvignac dite Joséphine et âgée de 40 ans, donne naissance à son 17ème enfant. Le père, Louis, âgé de 46 ans est cultivateur. Il a épousé Marguerite le 12 février 1870 à Collandres, situé dans le même canton que Valette. De ce mariage naissent successivement : Guillaume, Antoine, Marie, puis une autre Marie, Augustine Céleste, Guillaume Augustin, Jeanne Louise, Félix Michel, Jean, Casimir Guillaume, Gabrielle Louise, Antonin, un enfant mort-né, Eugène Noël, Marguerite Eugénie, Guillaume Henri et Henri. La moitié de la fratrie meurt à la naissance ou dès le plus jeune âge. Henri ne connaît donc que huit ou neuf de ses frères et soeurs. Entre la naissance de l’aîné et celle d’Henri, le village de Valette a perdu près de 200 habitants, et ne compte plus q’un demi-millier d’âmes. L’exode rural est intense.

Un départ familial pour la capitale espagnole

Lorsqu’Henri part pour Madrid, on sait qu’il n’est pas le seul de sa famille à s’y être déplacé. Effectivement, trois de ses frères sont déjà immatriculés comme résidents à Madrid. Le jeune homme n’est pas non plus le seul Cantalien à avoir migré en Espagne. Il n’est pas rare à cette époque de voir les habitants du Cantal partir vivre en Espagne et ce, depuis le 15ème siècle et surtout le 17ème siècle (déjà 25 000). Le voyage d’Henri est donc loin d’être une exception. Ces migrations sont motivées par des choix familiaux et professionnels (boulangeries, sciage de long, etc.). Les enfants  Dumas, à l’exception d’Antoine le cadet, délaissent la terre. Henri est zingueur à Madrid. Son frère aîné Guillaume, né en 1871, y est commerçant. Guillaume Augustin, né en 1879, est plombier et potier d’étain à Madrid dès la fin du 19ème siècle. Eugène Noël quant à lui est nickeleur. Tous ses frères plus âgés que lui, sauf Antoine, se sont mariés avec des Françaises. Henri n’a pas eu le temps de passer devant Monsieur le maire.

Un service militaire remplacé par la guerre

Henri a 20 ans en 1914. Lorsqu’il se présente en début d’année à Riom-ès-Montagnes, il est déclaré « Bon pour le service armé ». On possède, grâce au registre matricule, sa description physique : il a les cheveux blond foncé, les yeux bleus, un front et un visage larges, ainsi qu’un nez droit. Il est de bonne taille pour l’époque : 1,69 mètre. Au moment où la guerre éclate, il est incorporé dans l’armée, le 2 septembre 1914, dans le 4ème régiment du génie, unité formée à creuser des tunnels sous les tranchées ennemies pour les attaquer par surprise. Comme tous les conscrits de 1914, Henri fait ses classes pendant quelques semaines. Ses frères, avec qui il était en Espagne, ayant déjà fait leur service militaire, sont incorporés dans différents corps d’armée. Antoine retrouve le 12ème bataillon de chasseurs, qu’il a intégré dès novembre 1893. Guillaume Antoine, dont le service militaire avait été ajourné, fait malgré tout partie du 15ème escadron du train des équipages (un service auxiliaire) en 1914. Eugène Noël est quant à lui incorporé dans le 36ème régiment d’artillerie le 14 septembre 1914 : il est 2ème canonnier.

Quatre régiments en six mois

Henri ne reste que brièvement dans le 4ème régiment de génie, puisque le 20 octobre 1914, il passe à la 13ème section des infirmiers militaires de Clermont-Ferrand, rattaché à la 26ème division d’infanterie et en caserne à Vichy. Formé pendant deux mois, il rejoint le 12 décembre 1914, le 92ème régiment, qui fait également partie de la 26ème division d’infanterie. A-t-il le temps d’atteindre la Meuse où le régiment se remet des sanglantes batailles de Lorraine et de Belgique ? Le 10 février, il change à nouveau d’affectation et intègre le 153ème régiment d’infanterie, qui vient, selon son historique, d’être “relevé (…) ramené aux abords de la frontière franco-belge, recomplété, réconforté par quinze jours de repos. Il remonte en ligne dans le secteur nord de Zonnebecke”, puis “relevé au commencement d’avril, le 153ème quitte alors la Belgique”. Henri suit son régiment en Artois pour une bataille qui dure deux mois entre le 9 mai et le 2 juillet 1915. Les pertes sont lourdes (plus de 2 000 hommes dès le mois de mai) et le régiment part en repos pour un peu moins de deux mois en Lorraine. Il repart le 27 août en Champagne et reste un mois en préparation d’une nouvelle bataille, à Blesme-en-Champagne.

L’ultime bataille

Le 25 septembre 1915, à 9h15, l’attaque contre les troupes allemandes est lancée, c’est la deuxième bataille de Champagne. Le régiment en ressort victorieux, mais il est affaibli, meurtri et perd beaucoup d’hommes. Dès le premier jour de l’offensive, Henri est porté disparu à Maisons-en-Champagne, dans la Marne. Ce n’est que le 21 décembre 1920 qu’il est déclaré mort, tué à l’ennemi, par une décision de justice. On ne sait pas ce qu’est devenu son corps. Son nom figure sur le monument aux morts de sa commune natale. Peut-être est-ce à cause de la reconnaissance tardive de sa mort que son nom ne figure pas sur les plaques commémoratives du Collège français ? 

La guerre des mines

Pendant le conflit, lorsque la guerre de position débute fin 1914, après celle de mouvement, une des principales stratégies d’attaque est la guerre des mines qui débute en 1915. Ce sont les régiments de génie qui s’attèlent à la tâche lorsque le général Herr, alors chargé des défenses de Verdun, ordonne de décimer les positions allemandes par des attaques souterraines. Les sapeurs-mineurs, comme l’a appris Henri Dumas au début de son incorporation, jouent un rôle essentiel. En effet, ils sont chargés de creuser des galeries souterraines qui permettent d’approcher les tranchées allemandes. Lorsqu’ils arrivent sous la position ennemie, ils remplissent une chambre d’explosifs et la font sauter. Le génie allemand fait de même sans trop attendre. Cette stratégie de guerre dure jusqu’en 1918. Cependant, elle est très éprouvante pour les deux camps et ne permet pas vraiment de gagner du territoire.

Ernest FABRE (1887 – 1915)

UN BOULANGER ÉPILEPTIQUE DANS LA GUERRE

par Lucía Bueno Jaro et Marina Galiano Rodríguez, élèves de première du Lycée français de Madrid 

Commerçant à Madrid avec ses frères, Ernest Fabre, bien qu’épileptique, est mobilisé dans l’infanterie en mars 1915. Il disparaît six mois plus tard dans l’offensive du front de Champagne.  Ernest Fabre naît le 21 janvier 1887, à 5 h du matin, à Saint- Paul-de-Salers, un petit village du Cantal, à 40 kilomètres d’Aurillac. Il est le neuvième d’une famille de douze enfants, mais seuls sept d’entre eux arrivent à l’âge adulte, cinq garçons et deux filles. Le père, Jean Marie Fabre, qui a alors 40 ans, est boulanger à Madrid. La mère, Antoinette Verdier, 34 ans, n’a pas de profession : elle s’occupe des enfants et aide son mari. La grand-mère paternelle, Marie Lacombe, garde les petits-enfants lorsqu’ils ne suivent pas leurs parents en Espagne. Ernest est issu d’un milieu social plutôt modeste, mais bénéficie d’une éducation primaire comme toute la fratrie.

Une implantation ancienne en Espagne

Cela fait plusieurs générations que les Fabre ont des liens avec Madrid. Ils font partie de ces cultivateurs devenus boulangers, maquignons, marchands. Ils travaillent à Madrid ou dans les villes environnantes, mais naissent, se marient et meurent dans le Cantal. Jean Marie a entraîné tous ses enfants avec lui. L’aîné, Jean Marie, est boulanger comme son père à Madrid depuis 1895. Deux ans plus tard, le cadet Henri s’immatricule au consulat comme maquignon (vendeur de chevaux). Dix ans plus tard, les derniers enfants quittent la grand-mère Lacombe et rejoignent le clan à Madrid formé de Denis, Joseph et Ernest. Joseph est chauffeur d’automobile, alors qu’Ernest se lance dans le commerce. Ils s’intègrent dans la colonie française. Les garçons Fabre sont appelés à tour de rôle pour effectuer le service militaire. En 1907, c’est au tour d’Ernest qui est ajourné en 1908, puis exempté en 1909. Ernest est, en effet, épileptique, comme un de ses grands frères. Mais ce qui est une excuse valable en 1909 pour ne pas porter les armes, ne l’est plus en 1914.

Finalement “Bon pour le service”

Lorsque le conflit éclate en Europe, Ernest habite à Madrid, où il est soumis à une visite médicale au consulat français le 6 octobre 1914. Il est alors déclaré “Bon pour le service actif” par le conseil de révision du Cantal, après l’avis positif de Madrid, le 29 décembre 1914. La France a besoin de soldats et organise la récupération, dans l’armée active, des exemptés, des territoriaux et des auxiliaires. Tous les frères Fabre sont mobilisés, les plus âgés dans des régiments territoriaux d’infanterie, les plus jeunes dans l’infanterie. Le seul dont on ignore le parcours militaire est Jean Henri, qui vit encore à Madrid après la guerre. Ce n’est que le 11 mars 1915 qu’Ernest est finalement mobilisé dans le 92ème régiment d’infanterie (R.I.). C’est en train qu’il rejoint la caserne de Clermont-Ferrand, où il reçoit une instruction militaire accélérée. Il ne rejoint sans doute jamais ce régiment sur le front, puisque le 19 août 1915 il est transféré dans un bataillon de chasseurs alpins.

Des informations contradictoires

Selon sa fiche matricule, il s’agit du 11ème bataillon ; selon sa fiche « Mort pour la France » du 114ème bataillon. La comparaison des historiques des régiments permet de résoudre l’énigme. Ernest ayant disparu dans des combats à Souain, à 40 kilomètres à l’est de Reims, le 30 septembre 1915, c’est bien avec le 114ème bataillon qu’il combat, car celui-ci arrive au front de Champagne le 28 septembre où il doit “appuyer l’offensive qui vient de se déclencher sur ce front, sous les ordres du commandant Sancery”. Le 11ème bataillon de chasseurs est à cette période à Corcieux, une commune au pied des Vosges nord-orientales.

Disparu dans les combats de Champagne

Le 114ème bataillon de chasseurs a été créé en mars 1915 à Pérouges dans le département de l’Ain. Suivons l’historique de son régiment : “Après une période de quatre semaines au cours de laquelle il reçoit des renforts”, dont Ernest Fabre, “le bataillon s’embarque pour Lunéville et arrive au front de Champagne le 28 septembre (…). En ligne dès le 29 au nord de Souain, dans la tranchée des “Tantes” enlevée la veille par nos troupes et qui est située entre celle de “Lubeck” et celles des “Homosexuels”, en butte à un feu très violent d’artillerie, il exécute avec succès deux attaques partielles (…). Malgré des pertes sensibles causées par l’artillerie, le manque d’abris, l’impossibilité presque absolue d’être ravitaillé en eau, le bataillon est dans un état moral excellent ». C’est dans ces combats de Souain que décède Ernest. Il n’est déclaré officiellement mort que le 23 mars 1921, six ans après sa disparition, par le tribunal de Mauriac. Son corps n’a pas été retrouvé. Peut-être est-ce à cause de l’officialisation tardive de son décès, qu’il ne figure pas dans la liste des chasseurs morts au combat dans l’historique de son régiment publié en 1920 ? Son nom figure cependant sur le monument aux morts de Mauriac, inauguré en novembre 1925. Ses parents et ses frères, tous survivants de la guerre, ont peut-être assisté à son inauguration. Ernest et Jean Henri sont les seuls de la fratrie Fabre à ne pas s’être mariés. Nous avons identifié des neveux et nièces qui poursuivent la descendance de Jean Marie Fabre et Antoinette Verdier, comme Marie Antoinette Félicie Fabre, Louis Anthony et Jeanne Marie Rouchy ; mais nous n’avons pas retrouvé des membres vivants de cette famille.

Nommer le no man’s land

Avec la guerre de tranchées, le commandement commence à renommer la nature et le paysage défiguré. Les noms des bois, des rivières, des villages, des côtes numérotées deviennent familiers dans les journaux des marches et opérations. Mais comment nommer les tranchées ? L’état-major a recours aux mathématiques : A, A’, A’’, G1, H1 ou B2. Mais les poilus ont vite fait d’imposer des noms qui reflétaient leur état d’esprit ou leur vécu du terrain : tranchée des “Annamites”, de la “Misère” ou des “Punaises”, boyau du “Fantôme”, des “Déserteurs” ou du “Désespoir”, tranchée des “Mécomptes”, de la “Disgrâce”, des “Éprouvés” ou boyau de la “Rancune”, Bois du “Satyre” ou tranchées des “Homosexuels”. Pour les lignes tenues par les Allemands, les noms sont empruntés à l’histoire, “Bismarck”, la géographie, “Lübeck”, ou encore la philosophie avec “Nietzsche”.

1916 : les batailles

Portraits d’anciens élèves, parmi lesquels
Jean Molères (VII), extraits du livre d’or du
pensionnat de Jean-Baptiste de la Salle et
de l’École Saint-Genès à Bordeaux.
(Source: gallica.bnf.fr)

Les troupes sont enterrées dans leurs tranchées et les positions bougent peu. Chaque camp est déterminé à lancer la grande offensive censée enfin faire céder l’ennemi. Côté allemand, l’attaque est lancée le 21 février. Une pluie d’un million d’obus tombe sur Verdun. Les Allemands progressent, mais les Français résistent grâce aux hommes et au matériel acheminés via la « Voie sacrée » qui relie Bar-le-Duc à Verdun. Jusqu’au 19 décembre, 70% des soldats français viennent y combattre à tour de rôle. On retrouve les poilus de Madrid dans les lieux devenus symboliques de cet “enfer de Verdun” qui a fait des deux côtés plus de 700 000 victimes, morts, disparus ou blessés. Ce sont Juanito Molères, le footballeur, et Henri Labayrade qui meurent le même jour devant le Fort de Douaumont, Albert Supiot qui disparaît dans les combats du fort de Thiaumont, près du village fantôme de Fleury-devant-Douaumont, mais aussi le capitaine Roussel qui meurt des blessures causées par un des milliers d’obus qui ont couvert d’éclats et de gaz son régiment. Le professeur Maraval est tué sur la sinistre côte 304. Certains de ces hommes reposent anonymes dans l’ossuaire monumental de Douaumont. Au total, 53 millions d’obus ont été tirés, ravageant villages et paysages, mais les Français ont tenu bon. La percée allemande n’a pas eu lieu. En Allemagne, François Marie Souffay ne survit pas à sa deuxième année de captivité. À Madrid, les familles tremblent à l’évocation de tous ces lieux, dont les noms sont devenus familiers avec l’allongement de la liste des morts. Le bulletin de la Société de bienfaisance comporte désormais un tableau de la honte, qui dénonce les Français de Madrid qui n’ont pas répondu à la mobilisation. Verdun a occulté dans les mémoires l’autre grande offensive de 1916, coordonnée dans la Somme, par les alliés français et britanniques. 400 000 soldats meurent en quatre mois. Parmi eux, Marius Lagarde, qui avait survécu à Verdun, et Édouard Vidal : leurs corps n’ont jamais été retrouvés. Les familles tentent d’avoir des nouvelles par le consulat, passent des annonces dans le journal “La recherche des disparus”, attendent les courriers qu’on a appris à numéroter pour ne pas perdre le fil des récits. Un comité apporte à Madrid une aide financière aux veuves et aux orphelins de plus en plus nombreux. L’année 1916 s’achève sur un quasi statu quo : la guerre de position se poursuit.  

Antoine LAFARGE (1889 – 1916)

UN EXEMPTÉ RÉCUPÉRÉ POUR LE SERVICE ARMÉ

par Aurélie Willems Barbay, parent d’élèves au Lycée français de Madrid 

Négociant cantalien, Antoine Lafarge disparaît au début de la bataille de Verdun en 1916. Sa famille a cependant dû attendre cinq ans avant que sa mort ne soit officiellement reconnue.

Antoine Lafarge naît le 29 août 1889 dans le petit village d’Ally (1 206 habitants en 1911), dans le Cantal. Ses parents, Marie Dagiral et Antoine Lafarge, ont eu six enfants : deux garçons et quatre filles, dont une décédée très jeune à seulement dix mois et qui précédait Antoine dans la fratrie. Il est leur avant-dernier enfant. Son père est voyageur à Madrid, où il a précédemment été boulanger. Il se partage donc entre la France, où vit sa famille, et l’Espagne. Sans doute n’est-il pas présent quand son fils voit le jour, car la naissance d’Antoine Jean-Marie est déclarée à la mairie par son grandpère, Marcellin Dagiral. Grand, de corpulence mince, avec des yeux noirs et des cheveux châtains, Antoine devient luimême négociant à Madrid, où il fait partie de la colonie française. Son père meurt en 1908 ; Charles, le frère aîné, devient alors le pilier de la famille. Celui-ci s’est installé comme boulanger dans la capitale espagnole, et on retrouve la trace des deux frères dans une boulangerie de la Plaza de la Puerta de Moros.

Exempté, mais rattrapé par l’administration militaire

De constitution frêle, Antoine souffre en outre d’une cicatrice douloureuse à la jambe droite. Son matricule indique d’ailleurs qu’il est ajourné pour “faiblesse” en 1910. Il ne doit donc pas effectuer son service militaire, mais devra se représenter l’année suivante. En 1911, il est exempté pour tuberculose. Il est donc théoriquement exclu de tout service militaire, armé ou auxiliaire. Mais le déroulement du conflit en décide très vite autrement. En effet, dès le 29 décembre 1914, soit à peine cinq mois après le début de la guerre, il est reconnu “Bon pour le service auxiliaire” par le conseil de révision du Cantal, suite à un avis émis par le consulat de France à Madrid. Il est alors convoqué sans délai le 27 février 1915 dans le 139ème régiment, dit régiment d’Aurillac. Puis il est transféré dans le service armé, le 2 juin 1915, par la commission de réforme d’Aurillac et intègre finalement le 92ème régiment d’infanterie (R.I.) le 21 septembre 1915.

En route pour Verdun

Le 92ème R.I. a été mobilisé dès le début du conflit et a défilé le 7 août 1914, sous l’Arc de triomphe, à Paris. En septembre 1915, lorsque Antoine doit les rejoindre, ses compagnons d’armes s’illustrent dans les tranchées de la Somme, et le 3ème bataillon gagne même une citation, suite aux combats qui ont eu lieu à Beuvraignes. À partir de décembre 1915, les troupes sont dans l’Oise et, fin février 1916, le 92ème R.I. part en train en direction de la Meuse pour prendre part à la bataille de Verdun, qui a débuté le 21 février. Les soldats débarquent en différents lieux et effectuent une première marche vers Brizeaux, puis le lendemain une seconde vers Brocourt. Leur progression est compliquée par le mauvais état des routes et les nombreux convois qui coupent la colonne d’infanterie. Le 29 février, les hommes s’installent au nord du village, dans le Bois des Fouchères. Ils s’organisent pour un séjour prolongé et alternent travaux d’aménagement et de propreté, et exercices pour ceux qui ne sont pas de corvée.

Le sinistre Bois des Corbeaux

Le 6 mars, après ces quelques jours de répit, ils quittent leur camp pour le Bois le Bouchet, entre Béthelainville et Fromeréville-les-Vallons. Le rédacteur du journal des marches et opérations précise que “la canonnade est intense à l’est de Verdun, tout respire un départ prochain pour la fournaise “. Et le 7 mars, leur mission tombe : le lieutenant-colonel Macker, qui commande le régiment, reçoit l’ordre de reprendre le Bois des Corbeaux, dont les Allemands se sont récemment emparés. Dès le lendemain matin, à 7h, l’attaque est déclenchée et, deux heures plus tard, les quatre cinquième du Bois des Corbeaux et de Cumières ont été repris. Mais les pertes sont lourdes. La réaction allemande ne tarde pas, avec des bombardements d’obus lacrymogènes et conventionnels. Ils sont suivis d’une contre-attaque de deux jours qui entraînera à nouveau de nombreux décès, dont celui du commandant Macker. Seuls trois officiers et une centaine d’hommes parviennent finalement à se replier.

Une mort reconnue tardivement

Antoine Lafarge disparaît au cours de l’offensive initiale du mercredi 8 mars. Nous ne disposons d’aucune information sur son corps. Ce n’est qu’en 1921 que sa date de décès est fixée au 8 mars 1916 par le tribunal civil de Mauriac (jugement du 15 juin 1921, transcrit dans les registres d’Ally le 25 juin 1921). Sa famille est donc restée plusieurs années sans nouvelle de lui, confrontée aux difficultés administratives d’un décès qui n’est pas officiel. Antoine était célibataire. Son frère Charles a appelé son fils, né à Madrid en 1922, Antony, certainement en hommage à son jeune frère. Le 24 octobre 1922, Antoine est décoré à titre posthume de la Médaille militaire et de la croix de guerre avec étoile de bronze. Le motif de la citation indique : ”Brave soldat. Tué glorieusement pour la France le 8 mars 1916 au Bois des Corbeaux au cours d’un combat”. Dans son village natal d’Ally, il figure (sous le nom d’Antony) sur la plaque commémorative située dans l’église et sur celle du monument aux morts de la commune.

L’effort de récupération

Ce terme désigne une série de lois et décrets adoptés tout au long de la guerre pour récupérer des soldats supplémentaires parmi les hommes qui avaient été dispensés de servir sous les drapeaux. Alors que le conflit débute le 28 juillet 1914, un premier décret est pris dès le 9 septembre, et différentes mesures sont adoptées jusqu’en août 1918. Toutes les catégories de dispensés sont concernées : les hommes de faible constitution, mais aussi les blessés, les malades et infirmes. Parmi les hommes reconnus inaptes avant la guerre, près de 60% sont finalement récupérés. C’est le cas d’Antoine Lafarge. Et, pendant le conflit, plus de 48% des dispensés des classes 1915 à 1919 sont finalement intégrés, dont une très grande proportion dans le service armé. L’effort de récupération a donc été particulièrement intense, à la hauteur de l’importance des pertes humaines occasionnées par la Grande Guerre.  

Leon ROUSSEL (1872 – 1916)

UN INGÉNIEUR MENEUR D’HOMMES

par Dagmar De Mora-Figueroa De Salinas, Victor Rodriguez Ollier et Nadia Saenz Ouezzani, élèves de 3ème 6 du Lycée français de Madrid

Brillant ingénieur, Léon s’installe à Madrid en 1909 où il dirige une importante société chimique. Devenu officier de réserve, il est rappelé en 1914 et participe aux grands combats de l’infanterie jusqu’à la bataille de Verdun où il meurt de ses blessures.

Léon Marie Roussel est né le 15 novembre 1872 au domicile de ses parents, rue de l’Hôtel de Ville, à Gonesse, petite ville de 2 000 habitants. Sa famille est plutôt aisée. Son père, Adolphe, est constructeur des ponts et chaussées, et sa mère, Marie Léonie Ory, est institutrice. Adolphe meurt en 1886, laissant son fils orphelin à 14 ans. Léon vit alors avec sa mère et une nièce de celle-ci, elle aussi orpheline, Adrienne, âgée de 17 ans.

Un étudiant brillant

Léon passe le baccalauréat, mais nous ne savons pas dans quel lycée. Il fait des études longues. En 1891, il est volontaire pour le service militaire de trois ans. D’après son registre matricule, le visage est ovale, le menton rond, le front carré, les cheveux et sourcils châtains, les yeux gris, le nez fier, la bouche plutôt moyenne et il mesure 1,72 mètre. Il bénéficie comme étudiant d’une période réduite de service militaire d’un an entre 1892 et 1893. Soldat de 2ème classe, il est vite promu caporal. Étudiant de l’Institut national agronomique, il s’est installé dix ans auparavant rue Claude-Bernard, dans le 5ème arrondissement de Paris. Puis il habite rue Lhomond, dans le quartier du Val-de-Grâce. Léon vit deux années d’études intenses, pendant lesquelles il fait reconnaître ses qualités de meneur. Il est choisi comme président de la 18ème promotion. Diplôme d’ingénieur en poche en 1895, il poursuit ses études de chimie dans des laboratoires, et vit à Auxerre de juillet à novembre 1895, puis à nouveau à Paris jusqu’en avril 1896.

Une vie professionnelle et militaire intense

Pendant quatre ans, il est secrétaire, à Lyon, de l’Union du Sud-Est des Syndicats Agricoles. En 1900, il part pour Pontarlier, où il est fonctionnaire, professeur d’agriculture. En 1905 commence sa vie madrilène. Il obtient sa mise en disponibilité et devient directeur du service agronomique à la “Sociedad general de Industria y Comercio”, spécialisée dans la fabrication de dynamite et de produits chimiques. En 1909, il déclare pendant une courte période une adresse à Paris, puis on le retrouve calle de la Victoria, à deux pas de la Puerta del Sol, et ensuite dans le quartier de la gare d’Atocha. Parallèlement à sa vie professionnelle, Léon participe à des périodes d’exercices dans l’armée de réserve et monte en grade : sous-lieutenant, puis lieutenant. En 1913, à 41 ans, il démissionne de l’armée de réserve. Mais il est rappelé en 1914.

Un meneur d’hommes dans l’infanterie

Léon vit son premier conflit. Il rejoint le 249ème régiment d’infanterie (R.I.) qui rassemble ses hommes à Bayonne. Il arrive au front après la première bataille de la Marne, mais participe avec son régiment aux combats du Chemin des Dames à la fin de l’année 1914. Le lieutenant Roussel passe ensuite trois mois à la tête d’une section du 144ème R.I. qui tient les tranchées. Ses qualités et le manque d’officiers expliquent qu’on le transfère à la tête d’un tout nouveau régiment qui est créé en mars 1915. Au début de la guerre, il n’y a que 173 R.I., mais l’arrivée d’une nouvelle classe d’âge et le rappel des exemptés, des territoriaux et des auxiliaires permet la création de nouveaux régiments. C’est donc des hommes du 174ème R.I. que dirige Léon. Les combats de Champagne sont particulièrement violents. Léon est promu capitaine le 21 février 1916 et conduit ses hommes à la bataille de Verdun. D’après son registre matricule, il se distingue, le 27 février, “en attaquant et gardant, malgré les contre-attaques furieuses de l’ennemi, un ouvrage que celui-ci avait occupé”. Le 7 mars, la troupe  est surprise par un bombardement qualifié dans le journal des marches et opérations de “très intense”, de 9h du matin jusqu’à 17h, avec des obus de gros calibres, la plupart à gaz lacrymogènes. Le régiment subit alors des pertes d’une centaine d’hommes et de trois officiers : Pierre Pérathon (sous-lieutenant), Georges Eugène Calas (médecin aide-major de 2ème classe) et notre poilu Léon Marie Roussel (capitaine) grièvement blessé par des éclats d’obus à la poitrine. Léon met quatre jours à mourir de ses blessures. Il décède à 43 ans le 11 mars 1916.

Une mémoire honorée

A titre posthume, Léon est élevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur, décrit comme un “officier de courage exceptionnel, d’une rare énergie, payant de sa personne, bel exemple pour ses hommes qu’il savait entraîner et conduire au succès”. Il reçoit en avril 1916 la croix de guerre avec palme. Son corps repose dans la nécropole nationale de Bevaux, à Verdun. Roussel ne s’est pas marié et n’a pas eu d’enfants. Après la guerre, sa mère continue de vivre avec sa nièce Adrienne, qui devient institutrice. Lorsque celle-ci a un fils, elle le prénomme naturellement Léon. On retrouve le nom de Léon Roussel sur les monuments aux morts du cimetière et du centre-ville de Gonesse, et sur la plaque commémorative de l’église Saint-Pierre-Saint-Paul, toujours à Gonesse. Une courte biographie et une photographie de Léon sont publiées dans le livre d’or réalisé par l’association des anciens élèves de l’Institut national agronomique.

Les livres d’or

Dès 1919, afin d’honorer la mémoire des soldats morts pour la France, l’État instaure un recensement systématique, par la loi n°15135 du 25 octobre 1919, intitulée « Loi relative à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la Grande Guerre ». Chaque commune reçoit donc un registre, le livre d’or, sur lequel les noms des soldats seront notés. Très vite, des associations d’anciens élèves, des entreprises, des congrégations religieuses veulent rendre un hommage plus personnel aux leurs. Ainsi sont publiés des livres d’or en hommage aux morts pour la France : celui des pharmaciens, celui des élèves et anciens élèves des Écoles Nationales d’Arts et Métiers, celui du clergé et des congrégations ou encore des membres du Cercle de la Librairie et de leurs proches parents, eux aussi « Morts pour la France ». Ils sont une source incomparable dans la reconstitution de la vie des poilus.

Francois Marie SOUFFAY (1878 – 1916)

PRISONNIER DE GUERRE

par Demba Dia, parent d’élève du Lycée français de Madrid

François Marie Souffay travaille à Madrid comme agent de la Compagnie internationale des wagons-lits. Versé dans l’infanterie territoriale, il est fait prisonnier en septembre 1914 avec tout son bataillon à Maubeuge.

François Marie Souffay est né en Bretagne, le 4 février 1878, à 9h du soir, à Ambon, dans le Morbihan. D’après le recensement de 1876, le bourg compte alors 1 667 habitants. Deuxième enfant d’une fratrie de sept, François Marie est issu d’une union scellée à Damgan, le 21 juillet 1875, entre François Souffay et Marie Alexandrine Le Barillec. Ses parents, âgés de 35 et 27 ans à sa naissance, se sont connus à Ambon. Cinq garçons et deux filles forment la fratrie Souffay : Marie Julienne, l’aînée, puis les plus jeunes, Alexandre Marie, François Marie, Marie Louise, Vincent Marie, Joseph Marie. La Bretagne est en pleine piété mariale. D’un père cultivateur et d’une mère ménagère, François Marie, élevé dans la foi catholique, a grandi dans une famille agricole. Comme les jeunes de son âge, il fréquente l’école de sa contrée et termine le cycle primaire. Il perd son père, alors qu’il n’a que 21 ans.

Le service militaire à Vannes

François Marie se présente au conseil de révision du canton, à Muzillac, en septembre 1898. Il est enregistré comme étudiant. On note qu’il mesure 1,66 mètre, qu’il a des yeux bleus, un nez ordinaire et des sourcils châtains. Considéré comme fils aîné d’une veuve et d’une famille de sept enfants, il est ajourné pour l’année 1899. Il est aussi atteint d’une insuffisance valvulaire. Cela n’empêche pas qu’il soit l’année suivante, des Trente, aujourd’hui disparues. François Marie y fait ses classes et cette formation est sanctionnée par un certificat de bonne conduite. Il est reversé dans la réserve de l’armée active le 14 septembre 1901. Il retrouve l’uniforme pour une première période d’exercice, toujours dans le 116ème R.I. du 19 août au 19 septembre 1907. On lui accorde une dispense d’instruction militaire pour son deuxième rappel : François Marie a quitté la Bretagne depuis longtemps.

De déménagement en déménagement

Sa formation militaire finie, François Marie s’est beaucoup déplacé en France et en Espagne, entre 1901 et 1913. C’est ainsi qu’il séjourne à Amiens en 1901, à Bordeaux en 1902, à Paris en 1903, à Damgan en 1904, à Coulommiers en 1905, à Paris en 1907, à Madrid en 1908, puis à Ablaña de Mieres dans les Asturies, à nouveau à Paris en 1910, puis entre Madrid et Séville de 1910 à 1913. Cette frénésie du déménagement est liée à sa vie professionnelle. À une date que nous ignorons, François Marie a été recruté par la Compagnie internationale des wagons-lits. En Espagne, celle-ci est en pleine expansion. Depuis 1907, la ligne Sud-Express relie chaque jour Lisbonne à Calais via Madrid et Paris. De Lisbonne, des navires transatlantiques font la liaison entre l’Europe et le Brésil. En 1911, la Compagnie inaugure l’Andalus Express, un service entre Madrid et Séville, ce qui correspond bien à la mobilité de François Marie.

Tout un régiment fait prisonnier de guerre

Comme tous les réservistes, il est rappelé dès août 1914. Il intègre le 85ème régiment d’infanterie territoriale (R.I.T.), composé d’hommes trop âgés et plus assez entraînés pour intégrer un régiment de première ligne. Le 85ème R.I.T. est formé de 209 sous-officiers et de 3 451 hommes de troupe. Une fois les hommes rassemblés, le régiment part de Vannes dans la matinée du 16 août 1914 en quatre trains distincts. Arrivé à Compiègne le 17 août 1914, le régiment s’attelle à s’installer dans des baraquements de fortune. Le 21 août, l’ordre est transmis par note écrite de se mettre en route pour Maubeuge et Laon. Dès le 28 août, le régiment est assiégé le 14 septembre 1900, incorporé comme soldat de 2ème classe, dans le 116ème régiment d’infanterie (R.I.), en garnison à Vannes, dans les casernes de La Bourdonnaye et par les Allemands à Maubeuge. Pendant des pages, l’historique du 85ème R.I.T. décrit la résistance des soldats. Et vient la journée du 8 septembre. Le capitaine commandant Brochet raconte que “dans la matinée, les deux bataillons du 85ème territorial (…) ont été désarmés et conduits sur les points de concentration désignés. Deux journées et demie et deux nuits passées en plein air, sans aucune protection contre les intempéries, sans vivres autres que les quelques miettes qu’on a pu réserver de la journée du 7, une longue et pénible marche jusqu’à la station belge de Peissant, ont marqué, pour tous, les débuts d’une longue, déprimante et inhumaine captivité”.

Emporté par la maladie

Ainsi se termine l’histoire du 85ème R.I.T. dans la guerre. Plus de 32 000 soldats français sont faits prisonniers. De la captivité de François Marie, qui transite par Minden en octobre 1914, nous ne connaissons que la fin, sa mort au camp allemand de Dülmen en Westphalie, où il décède des suites d’une maladie, le 4 avril 1916. Il est enterré à Sarrebourg en Moselle, dans la nécropole nationale des “prisonniers de guerre 1914 – 1918”. Sa sépulture porte le numéro 12 281. Son décès est transcrit le 4 novembre 1920 dans les registres des actes de décès de Paris. Nous n’avons pas retrouvé de descendants de la famille de François Marie. Plusieurs de ses frères ont fait la guerre comme marins tandis que sa soeur Marie Louise a perdu son mari en septembre 1914 dans les combats de la Marne.

Prisonniers de guerre

Dès septembre 1914, plus de 125 000 soldats français sont prisonniers en Allemagne. Avant l’organisation de camps en 1915, les prisonniers dorment dans des hangars, sous des tentes, dans des forts humides réquisitionnés ou dans le meilleur des cas dans des écoles. La mortalité est forte, notamment à cause des épidémies redoutées Des cimetières sont progressivement ouverts près des camps afin d’enterrer les prisonniers décédés. Ils sont bien entretenus par les camarades qui veillent à l’identification des tombes. Après la guerre, les corps de ces soldats sont exhumés et rapatriés dans une nécropole de Moselle créée en 1922. Sont répartis en tombe individuelle 13 320 corps de prisonniers de guerre identifiés ; 34 inconnus étant regroupés dans deux ossuaires. Au centre de la nécropole, la sculpture en granit, le « Géant enchaîné », est une oeuvre de Stoll, prisonnier du camp bavarois de Grafenwohr. Elle représente, de façon allégorique, la souffrance des prisonniers.

Joseph DRANSART (1888 – 1916)

SOUS-OFFICIER D’UN SANG-FROID EXEMPLAIRE

par Paloma Martinez de Velasco, parent d’élèves du Lycée français de Madrid 

Employé au service commercial de la Compagnie royale asturienne, Joseph Dransart a résidé à Madrid, au 8 calle de las Cañas, avant de rejoindre le 84ème régiment de l’artillerie lourde. 

Joseph Paul Louis Dransart naît le 5 mars 1888 à 7h, à Flers-en-Escrebieux, une petite ville du nord de la France, près de Douai. Son père, Henri, a alors 38 ans. Issu d’une famille de cultivateur de Roost-Warendin, il est devenu docteur en médecine et exerce sur les communes environnantes. Son épouse, Marie Hennart, sans profession, a 34 ans lors de l’accouchement. La famille réside dans le hameau du Pont-de-la-Deûle, en bordure de la ville. Joseph est le troisième enfant du couple Dransart-Hennart. Il a deux soeurs aînées – Pauline, née en 1882 et Émilie, née en 1884 – et un petit frère né en 1894, Pierre. On imagine que Joseph suit une scolarité studieuse, typique des enfants de notables.

Au coeur du nord industriel

La famille quitte le hameau du Pont-de-la-Deûle et s’installe, avec le siècle, rue de la Gare. Une jeune domestique, Marie Rose, vit dans la maison familiale. Même si les registres matricules de Cambrai de l’année 1908 ont disparu, on peut supposer que Joseph effectue un service militaire avant d’entamer sa vie professionnelle. La région vit au rythme du complexe industriel installé dans la commune voisine d’Auby. Joseph y travaille pour la Compagnie royale asturienne des mines, société belge, spécialisée depuis 1868 dans le traitement du zinc importé d’Espagne. Elle passe pour avoir ici une des plus grosses usines d’Europe. C’est en tout cas la plus importante cité industrielle du Douaisis. Joseph y est chargé de commerce. Le 25 novembre 1912, la gazette “Le Nord” annonce ses fiançailles avec Yvonne Angélique Coton, fille de César Coton, industriel à Flers-en-Escrebieux, et de Pauline Diverchy. Joseph est par la suite envoyé en Espagne par son employeur. À Bilbao tout d’abord, puis à Madrid, comme l’atteste son immatriculation au consulat le 13 mai 1913. Il réside au 8 calle de las Cañas, dans le quartier d’Arturo Soria. Joseph et Yvonne se marient en France le 2 juin 1914 à 10h, devant Alphonse Pasquet, maire de la commune de Flers-en-Escrebieux. Le couple a-t-il le temps d’entamer une vie maritale à Paris comme le suggère l’adresse parisienne figurant sur l’acte de décès de Joseph qui précise que “le défunt était domicilié en dernier lieu au 14 rue de la ville l’Évêque, à Paris, 8ème arrondissement ? La guerre va tout emporter sur son passage.

Une naissance en zone occupée

Faute d’archives, on ne sait pas dans quel régiment Joseph est d’abord mobilisé. On imagine cependant son inquiétude. Flers-en-Escrebieux est occupé dès 1914 et le reste pendant tout le conflit. Les parents et les soeurs de Joseph y passent-ils la guerre ? Son épouse en tout cas y donne le jour à Anne- Marie Dransart le 3 mars 1915. C’est au plus tard début 1916 que Joseph rejoint le régiment avec lequel il va se battre à Verdun : le 84ème régiment d’artillerie lourde (R.A.L.).

Le 84ème R.A.L. : bravoure, courage et dévouement

Le 84ème R.A.L. se constitue le 11 juin 1915. Il est composé de 12 groupes : “Les éléments de formation furent assez divers, et consistaient principalement en servants d’artillerie à pied, pour la plupart de vieilles classes. Un grand nombre appartenait même à la réserve de l’armée territoriale et provenait de batteries de travailleurs ayant déjà occupé leur place au front”. Joseph fait sans doute déjà partie du 9ème groupe, qui prend part à l’attaque du 21 décembre sur l’Hartmannswillerkopf. Il a le grade de maréchal des logis, équivalent à celui de sergent. Fin janvier 1916, le groupe rejoint Toul. Après quelques jours de repos, il participe à une concentration de feux de 48 heures, au saillant de Flirey. Le 12 février 1916, “un laconique télégramme” lance tous les groupes dans la direction de Verdun. Les troupes arrivent, elles sont jetées dans l’action. Une pression énorme qui finit par un retrait le 24 février 1916 sur les Hauts de Meuse. “Mois de résistance pied à pied, au Thillot, à la route d’Étain, au Bois Bourrus, à la tranchée de Calonne ; rive droite et rive gauche, devant le fort de Vaux, comme devant Thiaumont ou la côte 304, les groupes du 84ème furent engagés partout ». Une citation qui résume l’esprit de tous les groupes : “[…] plus ou moins anciens en date, ils ont toujours été égaux en bravoure, en courage, en dévouement ». Le Journal officiel de la République Française salue le “soldat Dransart Joseph Paul Louis, matricule 07567, maréchal des logis : sous-officier d’un sang-froid et d’une énergie digne d’être citée en exemple. Employé comme observateur d’artillerie dans le secteur nord de Verdun du 3 mars au 1er avril 1916, y a montré des qualités sérieuses qui ont fait de lui un auxiliaire des plus précieux”.

Tué par un éclat d´obus

 Joseph est tué à l’ennemi le 4 mai 1916, à 8h30, dans la tranchée de Calonne, près de Saint-Rémy-de-Calonne. Le journal des marches et opérations précise : “le maréchal des logis Dransart de la colonne légère, détaché pour faire le service à la 18ème batterie (section Lanoiselée) est tué par un éclat d’obus ». Il a 28 ans. Son nom figure sur le monument aux morts de Flers-en-Escrebieux. Nous ne savons pas si sa fille Anne-Marie, décédée à Laon en 2007, a eu des descendants.

Le 84ème régiment d’artillerie lourde à tracteurs ou tractée

 Le manque d’artillerie lourde est l’une des faiblesses majeures de l’armée française début 1914. On espère une guerre courte, mais les soldats se retrouvent vite les pieds dans la boue des tranchées. Pris au dépourvu, le haut commandement développe alors l’artillerie lourde qui s’inspire de l’artillerie de la côte ou navale : canons, mortiers ou obusier, avec un calibre d’au moins 155 mm. L’idée est de pouvoir défoncer les retranchements allemands et de frapper loin. Pour affiner le tir, des canonniers marins, spécialistes des tirs de très longue portée, apportent leur expérience à leurs homologues terrestres. Les pièces sont remorquées par des véhicules tracteurs. On le différencie ainsi des régiments d’artillerie lourde (du 1er au 5ème), de ceux d’artillerie lourde à grande puissance (du 70ème au 78ème) et de ceux d’artillerie lourde hippomobile (du 101ème au 138ème et du 301ème au 456ème).  

Paul MARAVAL (1891 – 1916)

UNE BRINDILLE DANS LA BOURRASQUE

par Sacha Wallyn, élève de 3ème 6 du Lycée français de Madrid 

C’est l’histoire d’un patriote, Paul Maraval, jeune et frêle instituteur, trop fragile pour la guerre. Et pourtant, ce fétu de paille se retrouve coincé dans le tumulte mortel et indescriptible qu’est la Grande Guerre. 

Paul Lucien Alcide Maraval naît le 8 octobre 1891 à Lacaune, M. Petitin, 1915) petite ville du Tarn de 3 547 habitants. Sa mère, Joséphine Bascoul, née le 29 janvier 1863, est l’épouse de Paul Louis Maraval, né le 2 décembre 1859. Ils se sont mariés à Lacaune le 8 février 1888. Paul est leur deuxième enfant. Joséphine et Paul Louis vont élever leurs trois enfants dans de modestes conditions : lui est tailleur de pierre, et sa femme, mère au foyer. Compte-tenu de leurs de faibles revenus, ils inscrivent leurs enfants à l’école publique.

La promotion par l’école

Paul grandit dans cette commune paisible, entouré de ses deux soeurs : Marie Louise, l’aînée, née le 8 novembre 1888 à Lacaune, et Hermence Élise Anaïs Marie Blanche, la benjamine, née le 10 janvier 1894 dans la maison familiale. Durant son enfance, Paul idéalise le métier de professeur et l’art de l’instruction. C’est sans doute en se montrant intelligent, intéressé, voire brillant qu’il est remarqué par son maître d’école. Passés les cours élémentaires et les cours moyens, l’équivalent des CE1, CE2, CM1 et CM2 actuels, et une fois obtenu son certificat d’étude, Paul suit un cours supérieur dans ces classes rattachées aux écoles primaires, qui facilitent l’intégration des élèves issus de milieux populaires, contrairement aux lycées fréquentés par la bourgeoisie dans les plus grandes villes. Il obtient son brevet primaire d’enseignement. C’est à Toulouse qu’il suit sa formation d’instituteur. Il exerce ensuite sa profession à l’école publique de Lacaune jusqu’à ses 20 ans. En 1911, on le décrit, dans son registre matricule, comme étant un jeune homme aux cheveux bruns frisés, aux yeux bleus, et au visage long. Avec son 1,71 mètre, il est plus grand que la moyenne. Son front est plutôt incliné et proéminent, son nez rectiligne, bien droit. Convoqué au conseil de révision de Lacaune, il est ajourné pour un an. Les ajournés sont ceux qui présentent une faiblesse physique ou une taille inférieure à 1,54 mètre. Paul est de faible constitution, avec une ossature fragile, il ressemble à une vraie brindille.

Professeur au Collège français de Madrid

Paul transforme cette année de sursis en opportunité. Il est recruté pour enseigner au Collège français de Madrid. Son salaire mensuel est alors de 2 400 pesetas. En 1913, il retourne au conseil de révision ; il est à nouveau ajourné. Toujours pour le même motif. Il bénéficie aussi de l’article 21, pour les résidents à l’étranger, qui ont droit à un sursis. Paul est un intellectuel et non un soldat, mais il souhaite réellement participer à la guerre, combattre, terrasser l’ennemi. C’est un républicain qui fait tout son possible pour effectuer le service militaire. Notre instituteur bénéficie d’un sursis, qui lui permet de ne pas le faire. Mais par conviction, il le refuse le 8 septembre 1913. Il ne fait pas sa rentrée à Madrid.

Volontaire pour le service

À compter du 10 octobre, Il est incorporé dans la 16ème section des commis et ouvriers militaires de l’administration. Les commis sont affectés aux tâches bureaucratiques, les ouvriers servent dans la branche exploitation de l’intendance. Vu sa fragilité physique, Paul est sans aucun doute commis. Le 1er août 1914, la guerre est déclarée. Il demande son passage dans l’armée d’active. Il est maintenu au corps par décision du conseil de révision de Montpellier. Paul fait donc la guerre de l’intérieur. On imagine son impatience et sa frustration. Faute d’historique de cette section, on ne peut pas suivre les activités de Paul pendant ces premiers mois. Suite à l’hécatombe des pioupious français dès 1914, il est enfin versé dans l’armée d’active. Le 6 novembre 1915, il intègre le 3ème régiment des zouaves, en tant que soldat d’infanterie. À Montpellier, il était mobilisé dans l’administration en campagne simple : un jour passé à la guerre compte pour un jour dans le calcul de la pension du poilu. Avec les zouaves, il monte au front, cette fois-ci en campagne double, où il participe aux assauts dans la région de Verdun.

Verdun la redoutable

Le 19 mai 1916, à l’aube, Paul a 24 ans, sept mois et onze jours, et tout une existence à vivre. Nous sommes dans la Meuse, et Maraval est envoyé pour une grande offensive, dès 7h30 du matin. La tranchée se trouve de l’autre côté d’une côte, la 304. Mais lorsque les Français tentent de la franchir, une pluie d’obus et de missiles s’abat sur les troupes. Ce secteur est une petite colline au nord-est de Verdun, qui s’étend sur trois communes : Malancourt, Béthincourt et Esnes. Les bombardements plus violents les uns que les autres vont durer jusqu’à la tombée de la nuit. Le bilan humain de cette journée est de 21 tués, 69 blessés et neuf disparus. Paul fait partie des corps pulvérisés par cette pluie d’acier. Son acte de décès a été officiellement transcrit le 13 septembre 1916 dans les registres de l’état civil de Lacaune, sa ville natale. Son corps n’a jamais été retrouvé, comme des milliers de ses camarades : il n’a donc pas de tombe. Ses deux soeurs ont survécu à la guerre. Mais nous ne savons pas si elles ont eu des descendants. Le nom de notre poilu figure dans le livre d’or de Lacaune et sur une plaque de l’ancienne École normale de Toulouse. 

Le Lycée français de Madrid, il y a 100 ans par De Léon Torres Carlos, Fakih Esteban, Orsini Pablo, Viada de Soto Yago, élèves de 3ème 7

Fondé par la Société française de bienfaisance en 1884 et situé au numéro 12 de la calle del Marqués de la Ensenada, dans le quartier de Salamanca, le Collège français est inauguré officiellement à cette adresse en 1910. Il compte alors environ 300 élèves pour 20 enseignants, et l’enseignement proposé va du primaire jusqu’à la classe de troisième, les collégiens poursuivant leurs études dans un des lycées de Bordeaux. Lorsqu’en 1913 le Président Poincaré vient visiter ses locaux, le Collège compte treize classes, dont onze en amphithéâtre, un réfectoire de 150 places, une salle de gymnastique, une grande cour de récréation et un mobilier déjà très moderne pour l’époque. C’est en 1919, notamment à l’instigation de Pierre Paris, que la Société française de bienfaisance cède à l’État français l’administration du Collège qui devient un Lycée français d’État.   

Jean MOLERES (1890 – 1916)

JUANITO, UN SPORTIF DANS LA GUERRE

par Carla Bonnevide, Yilou Gimenez et Elia Seco, élèves de 3ème 7 du Lycée français de Madrid 

Jean Molères
Jean Molères

Né à Irun, au Pays basque, Jean Molères fait ses études à Bordeaux, au pensionnat de l’École de La Salle de Saint-Genès. Grand footballeur du prestigieux club d’Irun, il sera célébré comme “l’ejecutor del pase de la muerte”. En 1914, il rejoint le 49ème régiment d’infanterie et meurt lors de l’une des contre-attaques allemandes pendant la prise du Fort de Douaumont entre le 24 et le 25 mai 1916. 

Jean George Molères est né le 10 novembre 1890, à Irun, une ville située au Pays basque au nord de l’Espagne et tout proche de la frontière française. Il a étudié au pensionnat de l’École de La Salle de Saint-Genès de 1905 à 1908, ce que confirme son registre matricule qui indique qu’il a une solide instruction primaire. Son père, Pierre Louis Marie Gabriel Molères, est un commissionnaire en douanes à Irun et le propriétaire d’une entreprise de transports en Espagne et au Portugal, “Girod et Molères”. Sa mère s’appelle Marie Amélie Forsans; elle est sans profession. Une partie de sa famille, son père et son beau-frère, travaille dans le monde du transport routier. Jean, quant à lui, choisit le métier de footballeur professionnel. Il joue comme attaquant avec “l’Irun Sporting Club” avant de rejoindre le “Racing Club d’Irun” à partir de 1910. Sa petite soeur, Suzanne Molères, est mariée au commerçant Antoine Paul Decha. Antoine est décédé à Bayonne le 1er juillet 1959, Suzanne le 18 octobre 1994 à Anglet. D’après nos recherches, ni Jean, resté célibataire, ni sa soeur Suzanne ne laissent derrière eux des descendants. 

Juanito, un sportif du Pays basque espagnol

Au moment de son service militaire et lors du début de la guerre, Juanito, comme on le surnomme alors, est un grand joueur de football en Espagne, au sommet de sa gloire avec son club d’Irun. Jean, un homme grand et maigre aux cheveux châtains, est un des plus grands attaquants de ces années 1910. Dans le monde du football, on le surnomme alors “el ejecutor del pase de la muerte”, l’exécuteur de la passe de la mort. Cette fameuse passe entre les défenseurs adverses de son camarade Patricio est très difficile à réaliser et demande à notre attaquant Juanito une rapidité et une agilité incroyables pour l’exécuter et la transformer en but. C’est ce qui fait de lui un des attaquants les plus redoutables d’Espagne, comme le décrivent les journaux sportifs de l’époque.

Un service militaire aménagé

Son statut de grand footballeur lui a permis d’obtenir la possibilité de jouer des matchs les dimanches durant son service militaire à Bayonne de 1911 à 1913 et ainsi de participer à la victoire du championnat d’Espagne en 1913. Hélas, suite à une blessure, il n’a pas joué le match de la victoire en finale de la Coupe d’Espagne de 1913 de son équipe, le Racing Club d’Irun. À cette époque, gagner la Coupe d’Espagne revient à être champion d’Espagne. Par cette victoire de la Copa del Rey, le Roi Alphonse XIII va décerner au club le titre de “Real”. Il devient ainsi le Real Racing Club d’Irun. Un an après ce triomphe, Juanito doit dire au revoir à ses camarades footballeurs espagnols puisqu’il est mobilisé dès le début de la guerre comme soldat. Le grand joueur professionnel des origines du football basque, « Juanito » Molères, devient, en 1914, le soldat de 1ère classe Jean Molères.

Un footballeur dans la Grande Guerre

Le 3 août 1914, dès le début de la Grande Guerre, Jean a presque 24 ans lorsqu’il rejoint le 49ème régiment d’infanterie (R.I.), qui était déjà le sien lors de son service militaire. Il devient caporal le 11 novembre 1914, puis sergent le 4 février 1915, gravissant rapidement les échelons de l’armée malgré son jeune âge. Les premières semaines, après avoir battu en retraite de la Belgique à la Marne, le 49ème R.I. prend place face à l’ennemi allemand sur le plateau de Craonne. S’ensuivent 15 mois de combats, entrecoupés de temps calmes, dont les attaques “changeront de façon peu sensible d’ailleurs la situation des adversaires” comme l’affirme l’historique du régiment. Mais le 21 avril 1916, tout bascule pour Jean. Sergent à la bataille de Verdun, il doit participer à la prise du Fort de Douaumont. “C’est horrible ; vous ne réalisez pas ce qui s’y passe ; vous êtes très heureux si vous savez maintenir la neutralité jusqu’au bout” déclare-t-il par correspondance à ses camarades footballeurs espagnols. Le 24 mai 1916 à Douaumont, les Français et les Allemands se livrent à un sévère affrontement pour la prise du Fort. Plusieurs assauts français ont lieu immédiatement suivis de nombreuses contre-attaques allemandes. Ce sont sous ces bombardements et ces tirs de mitraillettes, durant ces deux journées du 24 et du 25 mai, que Jean meurt, tué à l’ennemi, à l’âge de 24 ans.

Les mémoires d’un poilu

 La mort de Jean n’est pas tombée dans l’oubli. Pour preuve, une stèle située à Fleury-devant-Douaumont honore sa mort et celle de ses camarades. Elle n’est pas l’unique monument qui garde le souvenir de Jean. Son ancienne école, appelée Saint-Genès, a dressé un monument en honneur de tous les morts pour la France lors de la guerre de 14 -18 et a publié son livre d’or dans lequel il figure avec ses camarades du pensionnat. C’est là que nous avons trouvé son portrait. 

Le football et ses joueurs pendant la Grande Guerre

Lorsque la guerre éclate, toutes les compétitions sportives, à l’exception du football en Angleterre, ont été annulées et les nombreux footballeurs professionnels doivent partir se battre. Cependant, les clubs de football anglais gardaient le dernier mot et beaucoup n’ont pas accepté. Au front, ce sport prend une autre ampleur avec l’influence croissante des troupes britanniques sur les loisirs des poilus, puis par l’implication du ministère de la Guerre et de l’état-major qui encouragent le sport pendant les jours de repos. À Noël 1914, à Ploegsteert en Belgique, les soldats britanniques et allemands ont même arrêté les combats pour une partie de football dans le no man’s land. À l’arrière, c’est aussi le football féminin qui se développe, particulièrement en Angleterre. À l’été 1917, se déroule même une “Munitionnettes cup” qui oppose 14 équipes ouvrières devant près de 22 000 spectateurs.  

Henri LABAYRADE (1894 – 1916)

UN DESTIN INTERROMPU

par Stéphane Vojetta, parent d’élève, et Julia Vojetta-Moller, élève de CM1 au Lycée français de Madrid

Employé dans l’entreprise familiale, Henri Labayrade a vu sa vie partagée entre la France et l’Espagne, avant d’être appelé au front en 1915.

Henri Labayrade naît le 15 avril 1894 à Irun, ce bout d’Espagne qui, depuis l’autre côté de la baie de la Bidassoa, contemple la ville d’Hendaye et les Basses-Pyrénées. Les parents, Marie Thérèse Vignalou et Jean Labayrade, s’étaient mariés en 1885 à Ogeu-les-Bains, proche de Sarrance, village d’un millier d’habitants situé sur les hauteurs des Pyrénées au coeur de la Vallée d’Aspe. Henri porte les prénoms de ses ancêtres : Jean Baptiste Henri Jean Joseph (d’après la fiche MPLF) s’appelle Jean-Baptiste comme son oncle, Jean comme son père, et Joseph, comme sa tante Marie Joséphine.

Une jeunesse entre la France et l’Espagne

Jean, le père d’Henri, a créé une société de production de gaz, « la Oxhídrica Española » à Bayonne, sur ce bout de terre où l’Adour et la Nive confluent avant de se jeter dans l’océan Atlantique. Henri effectue une scolarité réduite au Lycée Paul Bert, préférant sans doute s’incorporer au plus tôt dans la société familiale. Au début du siècle, la famille part en Espagne accompagner le développement de l’entreprise. Une importante usine est inaugurée en 1906 à Saragosse. On y produit de l’oxygène pour l’industrie pharmaceutique et la métallurgie locale, et de l’hydrogène notamment destiné à faire fonctionner les ballons dirigeables. Des commerciaux travaillent aussi à Madrid et à Bilbao. Henri aurait sans doute poursuivi sa carrière d’employé de commerce, si la guerre n’avait pas croisé son chemin : son père Jean a géré la firme jusqu’à ses ultimes années, puis son frère Paul a repris le flambeau en tant que directeur jusqu’à sa mort en 1956. Henri a les cheveux et yeux châtains, un front vertical, un nez rectiligne et un visage rond. De taille moyenne, il mesure 1,65 mètre. Il est totalement sourd de l’oreille droite. Son seul frère, Paul, de deux ans son aîné, est légèrement plus grand que lui, avec des cheveux plus sombres. Durant la guerre, Paul est un sous-officier “énergique et courageux”, blessé en septembre 1914, cité à l’ordre de la brigade, puis décoré de la croix de guerre. Après la guerre, il est consul de France à Saint-Sébastien, avant de s’installer à Bilbao.

« Bon pour le service armé » en 1915

À l’occasion de l’appel du premier semestre 1914 à Bayonne, Henri reçoit la mention « omis excusé » : absent de la liste du recensement – une omission imputable à l’administration, sans doute liée au fait qu’il habite à l’étranger – il est donc excusé. Classé dans la deuxième partie de la liste, il est versé dans le service auxiliaire et ne rejoint pas un régiment immédiatement. Cependant, les hécatombes de 1914 font que des hommes du service auxiliaire aboutissent dans le service armé. Le 8 février 1915, Henri est incorporé à son régiment – le 18ème d’infanterie – dont la garnison est à Pau. Il est soldat de 2ème classe dans la 2ème compagnie de mitrailleurs, matricule 9 692. Il y arrive comme auxiliaire puis passe en commission de réforme le 25 février. On le déclare “Bon pour le service armé”. Il doit alors recevoir une instruction militaire accélérée.

Avec les Basques du 49ème régiment d’infanterie

A-t-il vraiment rejoint le 18ème régiment d’infanterie (R.I.) ou est-ce lorsqu’il rejoint le 49ème R.I. que les combats commencent pour lui ? La question reste posée. Le 18ème, amoindri après des affrontements meurtriers dans l’Aisne, se reforme aux environs de Glennes où des renforts lui parviennent en janvier et février 1915. Henri, arrivé au corps début février, ne fait sans doute pas partie de ces renforts. Il rejoint peut-être l’Aisne plus tard, alors que son cousin Jean est déjà tombé pour la France, à quelques kilomètres à peine, à la Ville-aux-Bois, en septembre 1914. Il est affecté au 49ème R.I. en octobre.

Une mort héroïque dans l’enfer de Verdun

Le 21 avril 1916, le régiment quitte les coteaux verdoyants de la vallée de l’Aisne et se met en marche pour Verdun où depuis le 21 février, l’Allemagne lance obstinément ses divisions à l’assaut de la forteresse de la Meuse. C’est le 22 mai que le 49ème R.I. entre dans la bataille. Le 24, le commandant reçoit l’ordre d’attaquer avec tout son effectif. Grenadiers et mitrailleurs s’élancent, mais les pertes sont telles que bientôt l’élan se brise et la contre-attaque allemande se déclenche. Les mitrailleuses françaises ripostent et les vagues ennemies s’abattent successivement : l’ennemi ne franchit pas la barricade. Henri, lui, n’hésite pas à mettre sa pièce en batterie en plein terrain découvert, au moment d’une attaque ennemie précédée d’un violent bombardement. Il est tué au cours de cette action. Henri est « Mort pour la France », au sud du Fort de Douaumont, le 24 mai 1916 à 17h, “tué à l’ennemi”. Sans information sur le corps, des questions demeurent. En effet, l’officier d’état civil était trop éloigné pour constater la mort, mais il a pu dresser l’avis de décès sur la base du témoignage de l’adjudant Dilhet. Certains des ossements de Henri font-ils partie de l’architecture des 46 tombeaux de l’Ossuaire de Douaumont ? Henri a reçu une citation à l’ordre de l’armée pour sa bravoure au combat, et la croix de guerre à titre posthume. Son nom figure sur le monument aux morts de Bayonne et sur la plaque apposée au Lycée Paul Bert de Bayonne. Nous n’avons pas découvert pourquoi Henri Labayrade était connu de la colonie française de Madrid.

Le 49ème régiment d’infanterie

Formé à Bayonne, ce régiment, connu comme celui des Basques, a accueilli le plus grand nombre de poilus de Madrid. Partis en train pour Toul le 7 août 1914, les soldats du 49ème R.I., après des combats très meurtriers en Belgique le 23 août, se replient jusqu’à la Marne. Puis c’est la contre-attaque (décès de Louis Blanc et de Georges Dufau) jusqu’au secteur du Chemin des Dames où le régiment reste stationné jusqu’en 1917, à l’exception de mai 1916 où il combat à Verdun (décès le même jour d’Henri Labayrade et de Jean Molères). En mai 1917, c’est la prise du plateau de Californie. Durant l’année 1918, le 49ème R.I. résiste aux assauts allemands dans la Somme et l’Aisne, puis participe à l’offensive alliée pendant l’été et l’automne. Lorsqu’il revient à Bayonne le 27 juillet 1919, le régiment a perdu 52 officiers, 161 sous-officiers, 34 caporaux et 1 100 soldats.

Albert SUPIOT (1877 – 1916)

UN “PÉPÈRE” À LA GUERRE

par Catherine Mottard, parent d’élèves au Lycée français de Madrid  

Employé de commerce, Albert Supiot vit en 1913 à Madrid avec sa femme et ses trois enfants. À 37 ans, il est rappelé comme territorial lors de la mobilisation générale. 

Il est midi, le 5 juin 1877, lorsque Albert Supiot naît à Paris dans le 10ème arrondissement, au 108 de la rue Richelieu. Sa mère, Gabrielle Poisson, a alors 29 ans. Son père, Pierre-Félix, en a déjà 38. Il est emballeur. Albert est le premier garçon de la famille Supiot.

Exempté du service militaire

En 1897, à 20 ans, Albert est déclaré apte au service militaire. Affecté au 31ème régiment d’infanterie de Sens, il est finalement dispensé suivant l’article 21 en tant que fils aîné de veuve. Il effectue, malgré tout, ses deux périodes de manoeuvres d’un mois chacune, en avril 1904 puis en août 1907, dans la réserve active du 89ème régiment d’infanterie. Sa fiche matricule le décrit comme un homme brun aux yeux marron, de plus petite taille que la moyenne avec son 1,56 mètre. Il a le visage et le menton ronds, le front haut et la bouche moyenne. Il a une instruction primaire plus poussée que la moyenne, ce qu’illustre bien sa correspondance.

Le départ pour Madrid

En 1903, à 26 ans, Albert se marie avec Lucie Baudin. Ils habitent toujours Paris, et c’est là que naissent leurs trois enfants en 1904, 1908 et 1911. Il travaille alors comme employé de commerce à Neuilly-sur-Seine, chez Boyriven et Cie, une société d’accessoires pour automobiles, secteur en pleine expansion en ce début de siècle. En 1913, on lui propose un poste à la succursale de Madrid, au 12 calle Fernando VI et le voilà parti, avec sa femme et ses trois enfants, en Espagne, où il s’adapte vite à l’espagnol et aux coutumes de ce pays d’adoption.

Le rappel sous les drapeaux

Un an plus tard, le 1er août 1914, c’est la mobilisation générale. Alors âgé de 37 ans, il est affecté au 33ème régiment d’infanterie territoriale (R.I.T.). Ce régiment de “pépères” suppose qu’en raison de leur âge, ils ne sont plus assez entraînés pour intégrer un régiment d’active ou de réserve. Ainsi, au début de la guerre, ils ne participent pas aux actions de première ligne, mais plutôt à des travaux de consolidation des défenses ou d’entretien (terrassement, entretien des routes…). Les nouvelles que les soldats envoient à leurs familles sont conditionnées par la censure et se veulent rassurantes. Elles sont souvent écrites sur des cartes postales, plus rapides à écrire que des lettres pour des soldats issus des classes moyennes et populaires et n’ayant pas toujours un très fort degré d’instruction. Elles sont aussi plus facilement contrôlables. Durant la guerre, il en circulait jusqu’à 1,5 million quotidiennement. Lorsque Albert écrit à Lucie, il prend bien soin de numéroter chaque carte. Volonté de vérifier qu’elles arrivent toutes à bon port ? Il lui parle de la vie au front, par exemple du régime alimentaire, bien différent de celui de la maison, le manque de variété, l’excès de viande et le peu de légumes. Il évoque aussi le peu de solidarité des populations locales qui profitent de la situation en vendant à prix d’or des oeufs à peine frais.

Le sentiment de découragement

Au printemps 1915, le général Joffre décide de lancer une double offensive à l’ouest pour rompre la résistance allemande en Artois et en Champagne. Une lueur d’espoir apparaît dans la correspondance qu’Albert échange avec Lucie, même si, pour des raisons évidentes de censure, celui-là ne peut pas faire part clairement des informations dont il dispose. Finalement, les trois offensives ne mènent qu’à un nouveau gel des positions, au prix d’un coût élevé en hommes. Fin décembre 1915, notre poilu madrilène passe au 110ème R.I.T., puis au 119ème R.I.T. le 1er juin 1916. Dès fin 1915, les cartes postales qu’Albert envoie à sa femme montrent un état de découragement progressif. Tout d’abord, sa hernie le fait souffrir et l’opération qu’il espérait lui est refusée. Par ailleurs, les permissions sont contrôlées, voire suspendues. Il est tenu de passer ce qui sera sa dernière permission, à Paris, loin de Lucie et de ses enfants. Le décalage entre les soldats et la population civile est flagrant. À tel point qu’Albert écrit à sa femme qu’il est “très heureux de retrouver ses compagnons d’armes” après sa permission. Abandonnant sa réserve habituelle sur les atrocités, il lui remonte même les nouvelles qu’il a de ses camarades blessés, notamment du fils d’une amie qui a dû se faire amputer directement dans l’ambulance du front.

Disparu à Verdun

Les “territoriaux” participent au tourniquet de Verdun. Albert rejoint alors le 261ème régiment d’infanterie. Le lieutenant Roux nous raconte : “Pour monter, il fallut en terrain découvert par le ravin de la Mort et le carrefour de la Folie, traverser par bonds successifs plusieurs tirs de barrage”. Pendant six jours et six nuits, les soldats se réfugient par grappe de quelques hommes dans les trous d’obus, sans dormir, presque sans manger et sans boire ou juste leur urine, ou de l’eau croupie par les corps d’hommes ou de chevaux en putréfaction. Les compagnies progressent et s’emparent d’un blockhaus adverse. Des patrouilles poussent vers la Ferme de Thiaumont détenue par l’ennemi. Et c’est là, devant le Fort de Thiaumont, qu’Albert Supiot tombe le 28 juin 1916. Son corps n’a jamais été récupéré.

Au menu des poilus

Avec le courrier, la nourriture est essentielle pour le moral des soldats. Pour tous ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir améliorer l’ordinaire avec un colis, la ration quotidienne est insuffisante. Comme l’écrit Albert Supiot, les légumes, les oeufs et les fruits sont rares. La ration de base est d’environ 1 200 calories : 700 g de pain souvent dur, entre 300 et 500 g de viande, 100 g de légumes secs et un bol de soupe. Le pain des boulangeries arrive durci ou parfois moisi dans les tranchées. Le “pain de guerre”, pâte de farine de blé pétrie sans levain et cuite deux fois, se garde plus longtemps, mais les soldats doivent alors le ramollir dans de l’eau, du bouillon ou même du vin, quand le pinard est distribué dans les tranchées. Quant à la viande, elle est rarement fraîche, mais plutôt congelée, demi-salée ou en conserve : les poilus, habitués avant-guerre aux ragoûts et salaisons, l’appellent la viande de singe !  

Marius LAGARDE (1888 – 1916)

VICTIME DE L’ARTILLERIE FRANÇAISE

par Raffi Hanifa, parent d’élève du Lycée français de Madrid

Employé de commerce originaire du Cantal, Marius Lagarde est venu s’installer à Madrid, où il a vécu deux ans avant d’être mobilisé. Engagé dans les combats avec le 92ème, puis le 146ème régiment d’infanterie, il a été de toutes les grandes batailles de la première moitié de la guerre.

Né le 16 mai 1888 à Jaleyrac, petite commune rurale du Cantal, Jean Paul « Marius » Félicien Léon Lucien Vital Lagarde grandit au sein d’une famille de deux enfants. Son père, Jean, est marchand ambulant en Belgique. Avec son frère Antoine, de deux ans son aîné, ils sont donc élevés par leur mère Justine, restée au village. Les deux enfants suivent l’instruction obligatoire à l’école primaire. Si Antoine termine sa scolarité sachant lire et écrire, Marius, lui, suit une instruction primaire plus poussée : il est employé de commerce quand il est appelé sous les drapeaux.

De Clermont-Ferrand à Madrid

Marius est déclaré « Bon pour le service » en 1909. Il est affecté au 92ème régiment d’infanterie (R.I.) de Clermont-Ferrand, le 8 octobre. Il y effectue un service sans histoire, seulement marqué par le décès de son père en 1910, se voyant accorder le certificat de bonne conduite à son départ en 1912. C’est alors qu’il communique à l’administration son intention de s’installer à Madrid. Il y restera deux ans. Employé de commerce, il habite au 137 calle de Alcalá, à deux pas des anciennes arènes de la calle Goya – aujourd’hui le Palais des Sports de Madrid – et du parc du Retiro, dans un quartier alors en pleine expansion urbanistique. Mobilisé au tout début d’août 1914, il retrouve le 92ème R.I. de Clermont-Ferrand. Son destin personnel se confond alors avec celui de son régiment, et c’est à travers les historiques du 92ème et du 146ème R.I. que l’on peut suivre sa trace dans la Grande Guerre.

Plongé dans la guerre de mouvement

Au 92ème R.I., la mobilisation est complète le 7 août, et le 9, Marius et ses camarades sont déployés dans les Vosges. Le 12, ils font mouvement vers la frontière à la rencontre des Allemands qui l’ont déjà franchie, et les premiers combats se produisent le 14, les forçant à se replier. Ils passent à leur tour la frontière, à leur poursuite. Mais à partir du 20 août jusqu’au 2 septembre, pris sous le feu allemand et subissant de lourdes pertes, ils doivent battre en retraite. À leur tour harcelés par l’ennemi, les Français se battent au corpsà- corps dans les Bois de Ramberviller, au nord-est d’Épinal, chef-lieu des Vosges. Marius et son régiment sont relevés, puis débarqués le 15 septembre dans l’Oise. À partir du 20, ils prennent pleinement part aux combats de la bataille de la Marne. Du 20 au 30, fixés par l’artillerie allemande, à court de munitions, ils doivent défendre leurs positions à la baïonnette. Privés de l’appui de l’artillerie française qui manque d’obus, ils subissent de lourdes pertes face à l’infanterie adverse et sont finalement relevés.

De la Belgique à la Somme

Envoyés en Belgique le 12 novembre, Marius et ses camarades sont engagés à Ypres, dans le secteur de Broodseinde. Ils y combattent furieusement jusqu’au 1er décembre, faisant face à l’artillerie et aux mitrailleuses allemandes, et ils s’y distinguent par leur combativité. Mais les pertes sont lourdes. Désengagés courant décembre, ils sont ramenés dans la Somme, où ils passeront l’année 1915 à se remettre en conditions. Mais la fin de l’année les voit reprendre le combat dans les secteurs du Bois des Loges et de Beuvraignes où Marius est blessé au pied. Le 25 décembre, il est déclaré inapte au service pour une durée de deux mois. Il se remet de sa blessure, pendant que ses camarades s’entraînent au camp de Crèvecoeur, et tous repartent fin février pour écrire une nouvelle page dans l’histoire de la guerre.

Rescapé de l’enfer de Verdun

Placés en réserve dans les bois, sous la neige, par -12ºC et à court de nourriture, Marius et son régiment reçoivent le 7 mars l’ordre de reprendre le Bois des Corbeaux aux Allemands. L’attaque a lieu le lendemain. Remontant à découvert 900 mètres sous une pluie d’obus et les tirs des mitrailleuses, ils reprennent le bois. Mais privés de l’appui de l’artillerie française aveuglée par la neige, ils passent les jours suivants à repousser les contre-attaques ennemies. Face à l’ampleur des pertes, ils sont relevés le 10 mars : Marius survit à l’enfer de Verdun, contrairement à 1 500 de ses camarades qui y laissent la vie.

L’ultime combat dans la Somme

Le régiment, décimé, est chargé de tenir le secteur de Fouquescourt, à une vingtaine de kilomètres de Montdidier où stationne le 146ème d’infanterie qui se prépare pour la bataille de la Somme. Marius y est transféré le 1er mai. Marius et son nouveau régiment arrivent à Méricourt-sur-Somme le 1er juin. Ils y passent tout le mois à préparer l’offensive franco-britannique qui vise à percer les lignes allemandes. Celle-ci est déclenchée le 1er juillet. Placé en réserve, le bataillon de Marius n’y participe pas directement les premiers jours. Mais le 8 juillet, il est en première ligne avec pour objectif la prise de Hardecourt. Malheureusement, victime d’une erreur de tir de l’artillerie française, la compagnie de Marius doit se replier, poursuivie par l’ennemi. C’est au cours de cette journée confuse que Marius trouve la mort, en même temps que 48 de ses camarades. Porté disparu, son corps n’a pas été retrouvé. Son nom figure sur le monument aux morts de Jaleyrac, sa ville natale, et dans le livre d’or du ministère des pensions de cette même ville.

La guerre des artilleurs

Lors des conflits précédents, les pertes au combat étaient dues pour les deux tiers aux armes légères. En 1870, le fusil Chassepot français est même responsable de 80% des pertes prussiennes. Dès 1914, la situation change. L’artillerie devient responsable de cette même proportion de morts au combat, provoquant la terreur dans les rangs adverses, mais également dans son propre camp en raison de fréquentes erreurs de tir. Qu’elle soit de campagne, lourde ou de tranchée, l’artillerie connaît un essor exponentiel pendant le conflit, et avec une consommation proche de 300 000 obus par jour pour la seule armée française, au moment de la mort de Marius. Face à un tel déluge, les usines de fabrication d’obus se multiplient. Là, malgré le danger, 400 000 femmes, appelées les “munitionnettes”, participent à l’effort de guerre dans ce qui représente leur première intégration massive au marché du travail.

Ernest LAURENT(1884 – 1916)

UN DIONYSIEN À VERDUN

par Jana El Naggar, élève de première du Lycée français de Madrid 

Ilien originaire de Saint-Denis-d’Oléron, Ernest Laurent est professeur de français à Madrid. Il rejoint le front en 1914, dans le 206ème régiment d’infanterie, avec lequel il combat jusqu’à sa mort. 

Ernest Edmond Laurent naît dans une famille plutôt aisée de négociants de l’île d’Oléron. Les Laurent vivent dans le gros village de Saint-Denis d’Oléron, qui perd progressivement un quart de ses habitants en cette fin de 19ème siècle. Le grand-père Laurent est négociant, un oncle Marie Joseph Ernest est lieutenant de vaisseau, le grand-père maternel, lui, est docteur. Les parents, Pierre Théophile, que tout le monde appelle Émile, et Lucie Rochabrun, sont tous deux natifs de Saint-Denis. Ils se marient le 10 janvier 1882. La famille, catholique pratiquante, a l’habitude de fréquenter la petite église romane de Saint-Denys qui vient juste d’être rénovée. Trois naissances rapprochées ont suivi ce mariage : Charles (1882), l’aîné qui joue un rôle déterminant dans la vie de son cadet, Ernest (1884) et une petite Marie Louise (1885). Les enfants Laurent font des études plus poussées que la moyenne. Charles prononce ses voeux chez les Capucins. Il est envoyé en mission à Djibouti. Ernest devance alors la date de son service militaire et s’engage pour quatre ans en 1902, ce qui par ricochet dispense son aîné d’un an de service. Il se présente à La Rochelle au titre du 93ème régiment d’infanterie (R.I.). Il effectue ses classes avec sérieux. Soldat de 2ème classe, il devient caporal le 28 mai 1903, puis sergent. Le certificat de bonne conduite lui est accordé.

Le départ pour l’Espagne

C’est la vie de Charles, son frère aîné, qui décide du départ d’Ernest pour l’Espagne. Reconnu « Bon pour le service », Charles a intégré le 6ème R.I. en 1904. Après son service, confronté à l’expulsion de France des congrégations religieuses, il rejoint en Espagne le couvent des Capucins de Burgos. Ainsi s’explique le séjour de son frère Ernest de trois semaines dans cette ville en novembre 1906, avant son installation à Madrid, au 4 calle del Amor de Dios, une ruelle toute proche de la plaza Antón Martin. Une nouvelle vie commence après quatre années dans l’armée. Ernest est professeur de français, sans pour autant travailler au Collège français. Il est aussi traducteur et correspondant de la rédaction de L’Univers, qui est avec La Croix, un des deux grands journaux catholiques français d’avant-guerre. En 1910, Ernest a 25 ans. Il épouse une jeune Espagnole de 18 ans, Josefa Alcaniz, originaire de Manresa en Catalogne. Deux filles, Élise et Lucie, naissent en 1911 et 1913. Lorsque la guerre éclate, Josefa attend son troisième enfant. On ne sait pas si, pendant la guerre, Ernest a pu bénéficier des permissions autorisées par Joffre à partir de juin 1915, et rencontrer ainsi la petite Marie, née le 15 septembre 1914.

Réserviste mobilisé à 30 ans

 Ernest est mobilisé dès le 1er août et rejoint le 206ème R.I. qui est en train de se former à Saintes. Le 10 août, 28 officiers, 2 202 gradés et soldats partent en train pour Nancy qu’ils atteignent deux jours plus tard. La bataille du Grand couronné de Nancy est un échec. Le régiment recule et tient en septembre sa position autour de la forêt de Champenoux. En cinq jours de combats, le régiment a perdu trois officiers, 42 tués, 239 blessés et 165 disparus. C’est en Lorraine que stationne le 206ème R.I. jusqu’en février 1916. Ernest voit son engagement reconnu par une citation : “S’est toujours fait remarquer depuis le début de la campagne par son calme et son sang-froid, notamment au combat du 8 avril 1915 où il a repoussé toutes les contre-attaques ennemies sous un feu violent, au cours d’une attaque allemande récente qui a été repoussée. Il a donné le meilleur exemple de dévouement et d’énergie”. Il devient sous-lieutenant à titre temporaire le 29 mai 1915.   

En route pour Verdun

 En février 1916, le régiment est envoyé à Verdun, tantôt en première ligne, tantôt à l’arrière, selon le principe du tourniquet. L’affrontement majeur est l’attaque autour du Bois-de-Vaux le 3 septembre 1916. La ténacité du régiment lui vaut une citation : “occupant sous les ordres du Commandant Lavelle, depuis 6 jours un secteur violemment bombardé où il avait déjà subi des pertes importantes, a repoussé pendant toute la journée du 3 septembre les attaques acharnées d’un ennemi supérieur en nombre et bien que coupé des troupes voisines, l’a mis en fuite en lui infligeant des pertes considérables ». Ce sont dans ces combats du 3 septembre que meurt Ernest.

Un hommage appuyé

 Une nouvelle citation salue un “officier brave et énergique, (qui) a toujours donné à ses hommes depuis le début des hostilités le plus bel exemple de calme et de sang-froid. S’est distingué pendant la période du 29 août au 3 septembre en entretenant le moral de ses hommes soumis à des violents et incessants bombardements”. Il reçoit la croix de guerre avec étoile d’argent et la croix de guerre avec palme. Un secours immédiat de 300 francs est envoyé le 31 octobre à sa veuve à Madrid, dont on imagine le désarroi avec ses trois tout jeunes enfants. Ces derniers ont tous rejoint la France à une date que nous ignorons. Les Dionysiens ont rendu un triple hommage à Ernest dont le nom figure sur la plaque de la mairie, sur celle de l’église Saint-Denys et sur le monument aux morts de la commune.  

Le sergent

 Les hommes qui ont effectué leur service militaire avant la guerre se retrouvent en 1914 à exercer des fonctions d’encadrement dans les nouveaux régiments créés pour accueillir les réservistes, comme ceux du 206ème R.I. de Saintes. Les fantassins sont organisés en petites unités, les escouades, groupes de 15 soldats placés sous la supervision d’un caporal. Elles fonctionnent comme une petite famille pour le couchage, la cuisine, la vie courante. Deux escouades forment une demi-section, sous le commandement d’un sergent. Comme son nom l’indique, un serre-gens se tient au combat derrière sa demi-section qu’il surveille et dirige. Son équipement est allégé par rapport à la troupe. Il est ainsi doté de seulement 56 cartouches, car il ne prend pas part en principe aux tirs. Le sergent peut exercer aussi des fonctions plus administratives et devenir sergent fourrier, ce qui correspond en fait au même grade et donne droit à la même solde. Ernest a exercé alternativement ces deux fonctions.  

Edouard VIDAL (1894 – 1916)

UN COMMERÇANT CANTALIEN AU FRONT

par Noé Altenbourger et Axel Willems, élèves de 3ème 7au Lycée français de Madrid 

Comme de nombreux Cantaliens, Édouard Vidal fait du commerce en Espagne. Envoyé au front à 20 ans en 1914, il meurt pour la France à la fin de la longue bataille de la Somme. 

Jean Marie Édouard Vidal – il utilise son troisième prénom – est né le 8 septembre 1894, à Sainte-Eulalie, dans le canton de Pleaux. Ce petit village se situe à 128 kilomètres au sud- ouest de Clermont-Ferrand et compte 705 habitants en 1911. Édouard n’y passe qu’une partie son enfance. Il est le fils d’Antoine Vidal et de Delphine Tible. Son père s’est établi comme boulanger à Madrid. Sans doute est-ce la raison pour laquelle Édouard, très jeune, est lui-même parti vivre et travailler dans la péninsule ibérique. Souvent, dans une même famille, on trouve le métier de boulanger associé à ceux de marchands de toile, de marchands de mulets ou de charcutier. Sa mère, quant à elle, n’exerce pas de profession reconnue : elle assume la survie de l’exploitation à Sainte-Eulalie, voire travaille à la boutique de son mari. Édouard a un frère, de trois ans son aîné, Paul.

Installé à Navalcarnero

Titulaire d’un niveau d’instruction de degré 2 d’après son registre matricule, Édouard sait donc lire et écrire, ce qui montre le déploiement de l’école de Jules Ferry jusque dans les villages du Cantal. Il exerce le métier de commis en draperie à Navalcarnero. Expulsés de Madrid par leurs concurrents espagnols, les drapiers du Cantal ont continué à développer leurs activités dans les villes et villages des provinces environnantes. Le mot commis désigne un agent, ou un employé, qui accomplit des travaux manuels auprès d’un fabricant de draps. Cette ville implantée à 32 kilomètres au sud de Madrid est nettement plus importante que son village natal, puisqu’elle compte 4 510 habitants en 1910. Édouard est célibataire lorsque le devoir l’appelle. Comme tous les jeunes hommes âgés de 20 ans, il est convoqué devant le conseil de révision de son département, à Aurillac. Son matricule nous indique qu’il est “absent”. Il ne s’est pas présenté, pensant sans doute pouvoir réaliser cette formalité au consulat de Madrid. Il se voit donc automatiquement déclaré “Bon pour le service armé”. Il est placé dans la première partie de la liste en 1914, celle qui doit être versée dans l’armée d’active.

Avec les conscrits de 1914

 La déclaration de guerre va tout changer. Édouard est incorporé dans le 121ème régiment d’infanterie (R.I.) comme soldat de 2ème classe et doit rejoindre l’Auvergne. Le 121ème R.I. a été mobilisé dès le début du conflit, le 2 août 1914. Ses hommes quittent leur caserne de Montluçon le 7 août en direction du nord-est. Ils vont participer à de nombreuses batailles, dont celles de la Somme et de Verdun qui comptent parmi les plus meurtrières. Édouard rejoint ses compagnons d’armes le 8 septembre 1914. Il meurt deux ans plus tard, en septembre 1916, alors qu’ils sont engagés dans les tranchées de la Somme. À cette période, ils sont plus particulièrement chargés de progresser dans le Bois Triangulaire, entre Lihons et Chaulnes, à une cinquantaine de kilomètres à l’est d’Amiens.

Du calme à la tempête

 Le journal des marches et opérations nous apprend que la matinée du 5 septembre est relativement calme. Les hommes travaillent à recenser la grosse quantité de matériel ennemi tombé entre leurs mains : “plus de mille fusils, mitrailleuses, outils, munitions, vivres de réserve, appareils téléphoniques, etc”. Le rédacteur précise que “trois cents Allemands avaient été faits prisonniers, de nombreux cadavres étaient épars sur le terrain complètement bouleversé ou gisaient dans leur abri écrasé”. À 14h, l’atmosphère change de façon radicale : l’ennemi les soumet alors à un “bombardement d’une violence inouïe”. Dans la nuit du 5 au 6 septembre, les soldats du 121ème régiment reçoivent l’ordre d’attaquer pour gagner du terrain. La bataille débute à 16h. Ils subissent une contre-attaque une demi-heure plus tard, mais résistent. Aucun territoire n’est perdu du côté français, les troupes ne reculent pas, même si elles subissent un bombardement massif et voient s’abattre sur elles dans la journée huit mille obus. Le dernier ilôt allemand est réduit le matin du 7 septembre. L’objectif assigné aux soldats est atteint ; pendant la nuit, une tranchée nord-sud est établie à travers le Bois Triangulaire pour relier les nouvelles positions conquises. Édouard trouve la mort dans les combats du mercredi 6 septembre sans que l’on connaisse les détails de sa disparition. Son matricule indique qu’il est inhumé à la lisière sud du Bois Triangulaire, à 700 m environ de Chaulnes. On ignore ce qu’est ensuite devenu son corps.

Un frère dans la guerre

 Son frère aîné, Paul, a également participé à la campagne contre l’Allemagne de 1914 à 1919. Contrairement à son cadet, Paul a effectué son service militaire, débuté le 9 octobre 1912. Il a fait partie du 139ème R.I., le régiment du Cantal. Il a été blessé le 13 mars 1918, mais est retourné au front le 16 mai de la même année, après seulement deux mois de convalescence. Il est démobilisé tardivement, en août 1919. Paul sort vivant de la guerre puis s’installe en France, dans son département de naissance, où il se marie. Il a deux enfants, un garçon et une fille, qui ont fondé une famille à leur tour. La mémoire d’Édouard Vidal est célébrée sur le monument aux morts de son village natal de Saint-Eulalie. 

Les « Bon absent »

Les jeunes hommes âgés de 20 ans étaient convoqués devant le conseil de révision de leur canton qui décidait s’ils étaient aptes ou non à effectuer leur service militaire. Le matricule d’Édouard Vidal nous indique qu’il est « absent » lors de son conseil, qui le déclare « Bon pour le service armé ». Tout homme qui ne se présente pas au conseil de révision et ne se fait pas représenter par un parent ou le maire de la commune se voit automatiquement inscrit « Bon absent ». Avant 1905, ces “Bon absent” obtenaient automatiquement un petit numéro sans pouvoir effectuer leurs “classes” et faisaient donc d’office trois ans de service militaire si l’omission était volontaire. Après 1905, ils sont considérés comme « Bon pour le service armé ». Si leur omission a un caractère frauduleux, en plus de leur passage devant la justice, ils sont envoyés comme soldat de 2ème classe dans les troupes coloniales

Georges GUILLERMIN (1888-1916)

UN CAVALIER DANS LA GUERRE

par Blanca Alier, élève de 6ème au Lycée français de Madrid

Employé de bureau, Georges Guillermin vit à Madrid depuis 1911. Ce Lyonnais a 24 ans lorsqu’il est mobilisé dans le 15ème régiment des chasseurs à cheval.

Georges Étienne Louis Guillermin naît le 13 octobre 1888, à 18h, au domicile familial, 4 rue Martin, à Lyon. Son père, Jean Eugène, employé, a 24 ans. Sa mère, Marie Eugénie Cottin, est âgée de 28 ans. Les parents de notre soldat se sont mariés le 21 septembre 1886 à Paris, ville natale de la mère. Ils ont quatre enfants. Les deux premiers, Marie Françoise Julienne et Georges, naissent à Lyon en 1888 et 1889, René Pierre Louis à Paris en 1890 et Suzanne Germaine en 1894 à Villemomble, dans la banlieue est de Paris. La famille déménage souvent, au fur et à mesure qu’elle s’agrandit et aussi peut-être en fonction des emplois du père. Les grands-parents paternels de notre soldat sont originaires de la Drôme : Jean Étienne, né à Saint-Jean-de-Bournay, et Marie Louise Julienne, née à Champier. Ils ont donc certainement connu leurs petits-enfants, qui portent leurs prénoms, selon la coutume de l’époque. Nous n’avons aucune information sur l’origine des grands-parents maternels, mais leurs prénoms sont aussi portés par les enfants de Jean et Marie. Les enfants sont marqués par le décès de leur mère en 1899. Georges a dix ans à peine. Le père se remarie en 1903 avec Marie Herbert, de neuf ans son aînée. Nous n’avons pas d’informations sur leur enfance ou leur scolarité. Dans les registres matricules des deux frères est mentionné un niveau scolaire primaire supérieur.

Recruté au 15ème régiment des chasseurs à cheval

À 20 ans, Georges travaille comme employé à Paris, lorsqu’il est appelé pour le service militaire au 1er bureau de recrutement de la Seine. On ignore s’il travaille déjà pour la Compagnie Ingersoll Rand. On sait grâce au registre matricule qu’il mesure 1,65 mètre, a des sourcils bruns, des yeux marron un front découvert, le nez ordinaire et la bouche moyenne. Il a de plus un visage ovale et un menton rond. Classé dans la première liste de 1909, il est déclaré « Bon pour le service ». Il est incorporé le 1er octobre 1909 au 15ème régiment de chasseurs comme cavalier de 2ème classe. L’année suivante, il est rejoint par son frère René, qui effectue son service dans le même régiment. Peut-on en déduire que les garçons avaient appris à monter pendant leur jeunesse ? Georges suit son instruction avec sérieux. Le 26 mai 1910, il devient cavalier de 1ère classe, puis est envoyé en congé le 26 septembre 1911, avec un certificat de bonne conduite.

Comptable à Madrid

Deux mois plus tard, il se rend à Madrid et travaille comme comptable dans la Compagnie Ingersoll Rand, entreprise américaine qui existe encore de nos jours et produit des compresseurs. Il exerce les fonctions de chef comptable, secondé bientôt par Hauser, un autre poilu de Madrid. Le 2 août 1914, il est mobilisé à l’âge de 25 ans. Pensait-il rentrer pour l’hiver après une victoire rapide ? A-t-il crié « À bas Berlin » ? Peur, stupeur, patriotisme… Quel était le sentiment de G. Guillermin ? Peut-être tous à la fois.

Blessé, il reste néanmoins au front

Il se trouve sur le front occidental, près de Nieuport en Belgique, quand il est blessé à la tête par un obus, le 17 décembre 1914, au combat des Dunes. La décision est prise d’inonder le bassin de l’Yser pour cantonner les troupes allemandes sur la rive droite. Cette zone marécageuse, appelée aussi la « boue de Flandres », fait que les soldats s’enfoncent dedans jusqu’au ventre. Quand Guillermin est rétabli, on lui propose d’être renvoyé à l’arrière, comme ouvrier d’usine, mais il préfère retourner au front. Ce qui le motive : le courage, la solidarité pour ses camarades et son frère qui continuent de se battre sur le front, ou peut-être la peur d’être considéré comme un « embusqué ». Il rejoint son escadron le 27 février 1915 et devient brigadier. À ce moment, le 15ème régiment de chasseurs prépare l’offensive d’Artois, prévue pour mai, puis se déplace en Champagne, au mois de septembre. En 1916, le régiment cantonne dans le département de la Marne jusqu’au mois d’août où il se déplace en Lorraine. Guillermin devient maréchal des logis le 9 avril 1916.

Tué dans la forêt de Parroy en 1916

L’historique du régiment nous renseigne sur les mouvements des jours avant sa mort, du 1er au 14 septembre : relève des escadrons dans les tranchées, remplacement de la section à mitrailleuses, cours de grenadiers et de fusil-mitrailleur pour officiers et sous-officiers. La nuit du 24 septembre, le régiment reçoit l’ordre de changer de cantonnement. Les escadrons font route vers Hauteville, sans incident. Guillermin est mort pour la France le 24 septembre 1916 dans la forêt de Parroy, près de l’étang de Bossuprée, département de Meurthe-et-Moselle. La mort survient à 18h, suite au tir d’un obus isolé. Il est touché à la cuisse droite. Le décès est acté par le lieutenant Charles Antoine Marée Handre. Il est inhumé au cimetière communal de Croismare, en bordure de la forêt Parroy. On ignore si cette tombe existe toujours. Son corps a peut-être été déplacé à la nécropole nationale de Montauville, suite au regroupement après la guerre des cimetières militaires provisoires. Son courage et son attachement lui valent une citation à l’ordre du régiment et la croix de guerre avec étoile en bronze.

La Forêt de Parroy (Meurthe-et-Moselle)      

Située au nord-est de Lunéville, la forêt de Parroy s’étend sur plus de 5 500 hectares. Dès l’hiver 1914, le front se fixe à l’est de cette forêt, dont la plus grande partie est certes plate, mais aussi plantée d’une végétation dense, limitant la visibilité et l’observation. Contrôler la forêt signifie retarder tout ennemi qui tente d’y entrer par les lisières côté est. Pendant la Grande Guerre, l’ennemi résiste et fortifie sans répit les sommets. À partir de 1915, le front se stabilise jusqu’à la fin du conflit. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le général Patton se rend lui aussi compte du verrou que représente cette forêt, située dans un couloir naturel entre la nationale 4, la ligne de chemin de fer entre Paris et Strasbourg, et le canal reliant la Marne au Rhin… le tout contrôlé par les Allemands à portée de canon.

Alexandre CALVET (1881 – 1916)

UN BOULANGER CANTALIEN DANS LA GUERRE

par Ariadna Navarre, élève de terminale du Lycée français de Madrid

Issu du clan madrilène des boulangers cantaliens, Alexandre Calvet est de toutes les batailles avec le 139ème régiment d’infanterie. C’est à Verdun qu’un obus allemand met fin à sa guerre.

Alexandre Calvet. Archives familiales.

Les grands-parents Calvet sont propriétaires d’une terre agricole à Vic-sur-Cère, gros village de 1 600 âmes, à 20 kilomètres au nord-est d’Aurillac. Les grands-parents maternels, Pierre Beix et Françoise Garrouste, sont originaires de Sansac-de-Marmiesse, petit village de 500 habitants, situé à dix kilomètres au sud-ouest d’Aurillac. C’est leur fille Françoise qui épouse dans son village natal, le 12 juillet 1876, Jean Calvet, boulanger de son état. Un métier qu’elle connaît bien, puisque son frère Géraud l’exerce aussi. La famille Calvet-Beix s’agrandit vite : sept enfants naissent entre 1877 et 1893. Seuls cinq d’entre eux atteignent l’âge adulte : les deux aînés Eugénie Philippine et Étienne, Alexandre et les deux plus jeunes, Jean-Pierre et Jeanne Philomène.

Une famille de boulangers à Vallecas

Les naissances ont lieu tantôt à Vallecas (Madrid), tantôt dans la maison des grands-parents maternels. On retrouve trace des enfants dans les recensements des villages familiaux du Cantal, où ils suivent une scolarité primaire. Comme son père et ses frères, Alexandre est boulanger. On ne sait pas comment il organise son temps entre le Cantal et Madrid. Le service militaire est un acte qui maintient le lien entre les Cantaliens et la France. Alexandre est ajourné en 1902 et en 1903 pour faiblesse. Notre futur poilu n’est pas très grand. Il mesure 1,59 mètre. Il a les cheveux et les sourcils châtain foncé, des yeux gris-bleu, un nez fort, le menton rond et une petite bouche. En 1904, il est déclaré « Bon pour le service », rejoint Aurillac où caserne le 139ème régiment d’infanterie  (R.I.). Il y fait ses classes pendant un an. À la fin de son service, Alexandre signale à l’armée sa nouvelle résidence : calle Magdalena, au numéro 40, à Madrid, une rue qui relie les places Anton Martin et Tirso de Molina. Les événements familiaux s’enchaînent dans le clan Calvet. Alexandre, 28 ans, épouse à la mairie de Sansac-de-Marmiesse, le 24 août 1909, Joanna Vidal, 20 ans, native d’Ytrac, une commune limitrophe de Sansac-de-Marmiesse.

La cohabitation de plusieurs générations

Surprenante organisation familiale que celle des Cantaliens, qui vivent séparés les uns des autres pendant des mois, et se retrouvent en famille élargie dans les villages des aïeux. En 1910, plusieurs générations cohabitent selon les mois de l’année dans la même maison à Sansac-de-Marmiesse : le grand-père Pierre Bex, veuf et âgé de 74 ans ; son gendre Jean Calvet, également veuf, qui, à 65 ans, a renoncé aux voyages ; Alexandre, sa femme Joanna et les deux derniers de la fratrie Calvet, Jean-Pierre et Jeanne Philomène. Cette même année meurt à 31 ans Étienne, le frère aîné d’Alexandre. 1911 est l’année des mariages des benjamins de la fratrie : Jean-Pierre épouse Marie Belaubre, une fille de boulangers, et Jeanne Philomène convole avec Louis Perrier.

De toutes les grandes batailles

Lors de la mobilisation, tous les hommes du clan, frères et beaux-frères, partent à la guerre. Le 12 août 1914, Alexandre rejoint, comme soldat de 2ème classe, le 139ème R.I. à Aurillac. Il y retrouve assurément d’autres Cantaliens de Madrid. Cinq jours auparavant, le régiment a quitté le Cantal pour Épinal (Vosges). Il combat aussi dans la Somme. Le 18 septembre 1914, sur les 60 officiers et 3 300 soldats partis d’Aurillac, le régiment ne compte plus que dix officiers et 1 720 hommes, malgré de nombreux renforts. Parmi lesquels Alexandre. Le 139ème R.I. s’engage dans la course à la mer avec les batailles du Bois de Thiescourt, de la ferme Saint- Claude et de Lassigny. Puis ce sont la bataille des Flandres, fin 1914, et celle de la Somme, début 1915. La guerre s’enlise dans les tranchées. Le 22 février 1916, le 139ème R.I. assauts. Peut-être bénéficie-t-il d’une permission ? Le 23 juillet 1916, il intègre la 19ème compagnie du 365ème R.I. sous les ordres du lieutenant-colonel Gouraud. Le 4 septembre 1916, l’énorme explosion de Tavannes impressionne tous les hommes qui l’ont entendue. Le 11, le 365ème R.I. est relevé selon le principe du tourniquet, mis en place par Philippe Pétain. L’objectif est d’économiser la vie des défenseurs en les remplaçant en permanence par des troupes fraîches. C’est ainsi que plus des deux tiers des unités combattantes de l’armée française sont passées par Verdun. Le 356ème R.I. quitte la région de Tavannes pour le secteur de Blemerey, à 20 kilomètres à l’est de Lunéville.

L’unique tué du régiment le 26 septembre 1916

Dans l’après-midi du 26 septembre 1916, l’artillerie française lance des tirs sur les positions allemandes, qui répondent sur les ouvrages des Bouleaux brisés, au nom évocateur, dans la commune de Blemerey. Une perte est signalée dans le journal des marches et opérations : celle du soldat Calvet, tué à l’ennemi le 26 septembre 1916, à 16h. Alexandre obtient la mention “Mort pour la France”. Son registre matricule indique que le corps est enterré au cimetière de Blemerey. On ne sait pas s’il y est toujours ou s’il a été transféré ailleurs. Le nom d’Alexandre Pierre Calvet est présent sur les monuments aux morts de Sansac-de-Marmiesse et d’Ytrac. Les frères, soeurs, neveux et nièces d’Alexandre quittent l’Espagne et font un “retour aux sources” dans le Cantal. C’est progressivement la fin des clans des boulangers.

L’explosion du Tunnel de Tavannes

Construit en 1870 pour relier Metz à Verdun, le tunnel de Tavannes, long de 1 400 mètres et d’une largeur de cinq mètres, devient pendant la bataille de Verdun un enjeu stratégique de défense des frontières de l’Est. Il est aménagé en 1916 comme abri pour les troupes et zone de dépôt de munitions. La nuit du 4 septembre, une explosion accidentelle de caisses de grenades enflamme le dépôt de pétrole de l’entrée sud-ouest provoquant une autre explosion d’une violence exceptionnelle. Une fumée toxique emplit le tunnel. Les soldats s’asphyxient, se bousculent, coincés. Le tunnel brûle pendant deux jours. Le nombre exact de victimes n’a pas pu être déterminé avec précision, une grande partie des corps ayant totalement disparu. On parle de 500 à 600 morts, déclarés « disparus » à leur famille. La tragédie est masquée au grand public par la censure de la presse et le mensonge des autorités militaires françaises.

1917 : Le tournant

Elizabeth Atkinson

Les poilus madrilènes n’ont sans doute pas réalisé qu’ils vivaient le tournant de la guerre avec l’entrée en lice des États-Unis, la révolution bolchevique et le retrait de l’allié russe. Les classes 1917 et 1918 ont été appelées en avance. Les jeunes Alfred Laudouze et André Claude rejoignent leurs régiments. Pour Camille Bouhier ou Étienne Capdecomme, avoir survécu depuis août 1914 tient sans doute de la chance. La nouvelle des mutineries se répand. Celle des exécutions aussi. Espoir et lassitude. La mortalité tombe à 450 morts par jour : les méthodes de guerre sont-elles devenues plus économes en vie humaine ? L’état-major allié veut sa grande offensive de printemps. “Aux officiers, sous-officiers et soldats des armées françaises, l’heure est venue, confiance et courage, vive la France !”. Le 15 avril 1917, par ces mots, le général Nivelle lance l’offensive du Chemin des Dames, en Champagne. Malgré la diversion britannique, une semaine plus tôt à Arras, les Allemands ne sont pas surpris : ils se sont même légèrement repliés pour mieux se défendre. Nivelle insiste ; mais la percée n’a pas lieu. Le bilan est terrible : 300 000 morts français et allemands. Cette bataille signe la fin de la guerre pour le pépère Antoine Bonhoure. Pour desserrer l’étau des contestations et de la lassitude qui ont gagné les troupes, les permissions sont facilitées. Henri Debrion se réjouit de passer Noël avec les siens à Clermont-Ferrand. Jusque-là épargné, il meurt tragiquement dans le déraillement de son train dans la vallée de la Maurienne. Charles Haurillon est emporté par la tuberculose à Toulouse. Des familles de Cantaliens ont peu à peu quitté les boulangeries et boutiques madrilènes pour se replier en Auvergne. Les cercles français à Madrid amplifient leurs activités d’aide aux proches de mobilisés. Le recrutement d’Espagnols s’est peu à peu tari. L’ambassade développe une propagande anti-allemande et des listes noires de sociétés en affaire avec l’ennemi sont éditées à Madrid : on appelle à leur boycott. Quelque part en Macédoine, l’avion de Joseph Mombrun, parti en mission d’observation, est abattu par trois fokkers. « Nous mourrons presque tous s’il le faut, mais nous vaincrons ». Voici ce qu’écrivait Paul Escarguel à Noël 1914. Le pense-t-il encore quand il chevauche sa bicyclette pour transmettre le courrier sur le front ?  

Alfred LAUDOUZE (1897 – 1917)

UN JEUNE MADRILÈNE MORT À 19 ANS

par Aude Leroyer, parent d’élèves au Lycée français de Madrid   

Issu d’une famille française vivant à Madrid, Alfred Laudouze ne connaît la France qu’à travers l’horreur de la guerre et il va mourir pour elle, alors qu’il n’a pas 20 ans. 

Alfred naît le dernier jour de l’année 1897 en Espagne. Ses parents habitent calle Valeria 4, à Madrid, au sud du Parc du Retiro. Son père, Gaston, né le 8 juin 1865 à Paris, est électricien et mécanicien. Il se marie en 1892, le 3 décembre, avec Justine Burglen, née le 27 janvier 1868. On ne sait pas pourquoi le couple est venu s’installer en Espagne. Alfred est le troisième enfant d’une fratrie de quatre. Son frère aîné, Henri, est né le 10 août 1893, et sa soeur Lucie, le 30 juillet 1895. Un petit frère Gaston voit le jour en 1907, alors qu’Alfred a dix ans. Tous les quatre sont nés à Madrid. Les garçons ont sans doute été élèves au Collège français, puisqu’on retrouve après la guerre le plus jeune, Gaston, 1er prix d’espagnol au tableau d’honneur, alors qu’il est en classe de quatrième.

Un long parcours militaire pour son frère

Alfred a 16 ans, quand son frère Henri doit effectuer son service militaire. Celui-ci est alors dessinateur industriel en Allemagne, à Cassel, une ville à forte tradition universitaire. La fiche matricule d’Henri rapporte un seul fait physique, à savoir qu’il mesure 1,64 mètre. Elle décrit également tous ses actes dans l’armée. Recensé à Saint-Ouen-L’Aumône (Seine-et-Oise), en France, mais  » omis excusé » de la classe 1913, il intègre celle de 1914 en tant que soldat de 2ème classe dans le 147ème régiment d’infanterie (R.I.). En 1915, il passe à la 9ème section des commis et d’ouvriers militaires d’administration, puis au service auxiliaire pour des problèmes de santé. Il intègre ensuite le 126ème R.I. en 1916.

Quelques semaines de combats pour Alfred

Contrairement à son frère, Alfred ne connaît la vie militaire que trop peu de temps. Sa fiche matricule ne comporte pas beaucoup d’éléments. Il n’y a aucune indication concernant son physique, ni son degré d’instruction. Il fait partie de la classe 1917, mais l’armée appelle désormais les jeunes hommes à 19 ans. Il est incorporé le 11 janvier 1916 dans le 106ème R.I., comme soldat de 2ème classe. Pendant plusieurs semaines en Champagne, les soldats consolident les tranchées, subissant parfois des attaques au gaz. Alfred se distrait sans doute en lisant le “canard de la Suippe”, le journal des tranchées du 106ème, qui sort cinq numéros pendant cette période relativement calme. Alfred passe l’hiver dans le 70ème R.I., qui cantonne en Champagne, puis dans la Somme. Au printemps 1917, le 26 mars, il intègre le 20ème R.I. sous le matricule 13 521. L’historique du 20ème R.I. spécifie qu’à cette date le régiment « est chargé d’aménager [le tranquille secteur de Prosnes] en vue d’une opération offensive » en Champagne. L’ennemi est à trois kilomètres dans le Massif de Moronvilliers.

Les « feux violents des mitrailleuses »

« La première quinzaine du mois d’avril se passe dans les préparatifs de l’attaque ». À partir du 16 avril et jusqu’au 2 mai 1917, les affrontements de part et d’autre vont se multiplier. Les combats sont violents, et beaucoup d’hommes meurent. “Les efforts fournis par le 20ème et sa brillante conduite au cours des opérations qui se sont déroulées victorieuses devant le Massif de Moronvilliers, citadelle cependant jugée inexpugnable, lui valent sa première citation à l’ordre de l’Armée”. Dans le journal des marches et opérations (J.M.O.), on retrouve le détail de la journée du 30 avril 1917, un jour de « feux violents de mitrailleuses ». Les actions ont été gagnantes pour le régiment, mais les pertes sont énormes : les soldats sont intoxiqués, tués, blessés, disparus. Le J.M.O. établit une liste détaillée de 119 noms : Alfred en fait partie, et son nom apparaît à la deuxième page du 30 avril, dans la colonne de droite, à la 12ème position avec la mention « disparu ». 

Un double deuil

1917 est une période d’autant plus cruelle pour la famille Laudouze que le père d’Alfred meurt également cette année-là. On ne sait pas ce qu’est devenu le corps d’Alfred, déclaré disparu en même temps que des dizaines de ses camarades. Sa date officielle de décès est fixée par une décision de justice du tribunal de Reims le 17 février 1922. La fiche “Mort pour la France”, mise en ligne par le ministère des armées, sur le site Internet Mémoire des hommes, indique que ce décès a été transcrit le 21 mars 1922 à Paris, dans le 1er arrondissement, avec la mention manuscrite “domicile à Madrid / Espagne ». Son frère aîné Henri a survécu à la guerre. Il est mis en congé illimité de démobilisation le 24 novembre 1919. Il habite alors à Madrid, au 18 Paseo Delicias, près de la gare d’Atocha. Il reste affecté dans l’armée, rattaché comme résident à l’étranger, à différents centres mobilisateurs du Train. On le retrouve en 1939 au service de l’attaché militaire à Madrid, puis directeur des Ateliers de la Compagnie Auxiliaire des Transports à Villaverde. Il meurt accidentellement à Madrid le 13 mars 1951, “sans (…) autre héritier que sa veuve Sofia Rioja Conde”. On ne connaît pas de descendants de la fratrie Laudouze. On peut supposer que la reconnaissance tardive du décès d’Alfred explique pourquoi son nom ne figure pas sur la plaque initiale de la Société française de bienfaisance. 

Le journal des marches et opérations (J.M.O.)

Il est toujours émouvant de lire le nom d’un soldat recherché dans des documents d’archives, d’autant plus quand il s’agit d’un journal des marches et opérations, écrit à la main. Les J.M.O. servent à décrire les actions de chaque corps d’armée. Ils sont très factuels et généralement dépourvus de tout commentaire personnel. Ils peuvent sembler froids à la première lecture, mais ils sont riches en informations qui décrivent le quotidien des soldats et le parcours des combattants. Chaque jour, les faits y sont relatés : à gauche, la date, et à droite, les récits des combats, des manoeuvres, des itinéraires, de la composition du corps. Les descriptions récapitulatives sont plus ou moins détaillées en fonction des possibilités techniques. Parfois, seul le nombre de tués et de blessés est inscrit ; parfois, comme c’est le cas pour la journée très endeuillée du 30 avril 1917, une liste exhaustive des blessés, tués et disparus est méthodiquement rédigée.

Charles HAURILLON (1886 – 1917)

UN SOLDAT DE L’INTÉRIEUR

par Estelle Paré Fernández, professeure de lettres au Lycée français de Madrid

Issu d’une famille de montagnards luchonnais, Charles s’engage dans l’armée, avant de travailler dans des hôtels au Portugal et en Espagne. Mobilisé, il mène la guerre à l’arrière du front, contre l’Allemagne et contre la maladie. Tuberculeux, il meurt à l’hôpital, à Toulouse.

Une famille de montagnards célèbres

Depuis des générations, les Haurillon vivent soit à Saint- Mamet, soit à Bagnères-de-Luchon sur les flancs des Pyrénées. Ce sont des montagnards dans l’âme. Le père, Hugues François Odon, exerce différentes professions. Militaire de métier, il épouse le 4 mars 1878 Catherine Saby, une Saint-Mamétoise pure souche. Un mariage suivi cinq semaines plus tard de la naissance de Jean, futur guide de haute-montagne, qui sera en 1910 le premier à réaliser avec Emili Juncadella la traversée intégrale de la crête de Cregüeña, appelée depuis l’aiguille Haurillon. D’autres naissances suivent à Saint-Mamet dans la maison familiale maternelle : Victorine Marie Louise (1879) et Ovide François (1881). Le père quitte l’armée et on le retrouve cocher en Indre-et-Loire en 1886. C’est dans la ville de Charentilly que naît Charles Ovide Joseph, le 22 mars 1886. L’expérience en Indre-et-Loire ne dure pas, et la famille Haurillon retrouve Saint-Mamet. Louis Ovide (1890), Rose Jeanne (1893) et Jean Ovide Victor (1895) complètent la fratrie. Les enfants fréquentent sans doute l’école primaire de Saint- Mamet, mais Charles n’a qu’un petit niveau scolaire. Il sait lire et écrire. Comme beaucoup de cultivateurs de l’époque, il cherche un travail en ville. Bagnères-de-Luchon est en pleine modernisation. Charles est valet de chambre, probablement, dans un de ces hôtels qui se sont multipliés dans cette cité thermale déjà prisée sous le Second Empire par l’impératrice Eugénie. L’arrivée du train et l’ouverture d’un casino ont considérablement changé la ville.

De l’artillerie à l’hôtellerie

Charles devance l’appel du service militaire et se présente, dès 1904, à Tours. C’est un jeune homme d’1,72 mètre, aux cheveux châtain clair, aux yeux bleus, avec un front ordinaire, un nez aquilin et un visage rond. Engagé volontaire pour trois ans, le 9 octobre 1905, il est affecté au 13ème régiment d’artillerie. Le voilà aussitôt canonnier conducteur. Le 11 avril 1906, il devient brigadier, puis brigadier-fourrier le 18 septembre 1906 et maréchal des logis le 8 novembre 1906. Il passe dans la réserve de l’armée active le 9 octobre 1908. C’est le retour à la vie civile. Charles s’est enhardi et part travailler au Portugal. L’hôtellerie y est en plein essor, et il trouve une place à l’hôtel Avenida Palace de Lisbonne. Ce bâtiment très Belle Époque, bâti par José Luís Monteiro, l’architecte de la gare du Rossio, avait été inauguré en 1892. Charles trouve ensuite une place à Madrid. Il réside au 7 calle de Blasco de Garay, près de l’actuel parque del Oeste.

Trahi par son corps

Lorsque la guerre éclate, il est rappelé à l’activité et rejoint à Agen le 18ème régiment d’artillerie de campagne, le 3 août 1914. Il intègre un groupe de renforcement, canon 75, composé de réservistes. On sait qu’il ne participe pas aux combats de la bataille de la Marne, dans laquelle est engagé son groupe de renforcement. En effet, son registre matricule précise que, s’il participe bien à la campagne contre l’Allemagne, c’est à “l’intérieur”. Cette mention, qui peut sembler assez vague, désigne tout le territoire qui s’étend derrière la zone des armées. Un homme dans la zone de l’intérieur peut être au dépôt, dans un hôpital, mais aussi affecté à un poste de garde de prisonniers, manutentionnaire dans un magasin, secrétaire. On ignore les occupations de Charles. De constitution fragile, il est réformé le 18 novembre 1915 pour “albuminerie constatée”. Cette décision est sans doute suivie d’un retour dans le clan familial à Luchon. Le 23 février 1916, il est convoqué à Saint-Gaudens. L’armée recherche des soldats pour les tranchées, mais elle ne peut que le placer en réforme temporaire de seconde catégorie pour “épididymite double chronique, au dernier degré”. Convoqué un an plus tard, le 11 janvier 1917, il est cette fois-ci classé au service auxiliaire. Il rejoint une caserne du 83ème régiment d’infanterie (R.I.), le 25 février 1917, avec le grade de sergent. On ne sait pas si c’est à Saint-Gaudens ou à Toulouse, les deux villes de caserne du régiment. Seule certitude, il ne rejoint pas le front. 

La guerre de l’intérieur

Les hommes du service auxiliaire sont mobilisés, sans être au service armé, pour participer à l’organisation du ravitaillement, à des travaux de réfection de lignes de chemin de fer ou de lignes télégraphiques sur le front. À Toulouse, il est fort possible que Charles ait été affecté à l’accueil des réservistes ou bien au soin des blessés dans les hôpitaux ou dans les ambulances qui se sont multipliées en ville pour accueillir les blessés. Est-ce comme cela qu’il contracte la tuberculose ? Hospitalisé le 11 avril 1917, il souffre d’une néphrite aiguë et d’une tuberculose pulmonaire, maladies reconnues comme contractées en service. Il meurt le 22 juin 1917, à 17h, à l’hôpital complémentaire numéro 57, installé dans l’Institut catholique au 31 rue de la Fonderie à Toulouse. Le 5 juillet 1917, la mort de Charles est actée au Capitole de Toulouse (aujourd’hui l’Hôtel de ville et le théâtre du Capitole) et transcrite le 16 juillet 1917 sur le registre de l’état civil. Un hommage lui est rendu sur le monument aux morts de Bagnèresde- Luchon, tout comme sur une plaque commémorative de l’église Notre-Damede- l’Assomption, dans la même commune.

Toulouse, ville stratégique de l’arrière

Dès août 1914, les hôpitaux proches du front se voient débordés par un trop grand nombre de blessés, qui sont envoyés notamment à Toulouse, où ils arrivent en gare de Matabiau. Toulouse développe alors un réseau important d’institutions hospitalières, implantées dans des bâtiments publics ou privés mis à la disposition de l’administration militaire. Beaucoup d’hommes sont atteints par des éclats d’obus ou de shrapnels. De nombreuses blessures sont au visage : ce sont les “gueules cassées” et les débuts de la chirurgie réparatrice. En parallèle, la ville mobilise des quartiers entiers sur la rive gauche de la Garonne, comme l’Arsenal, la Cartoucherie ou encore la Poudrerie, pour la fabrication de poudre et de munitions. En 1917, Pierre-Georges Latécoère installe ses usines de constructions aéronautiques dans le quartier de Montaudran et fournit le premier avion à l’armée française en 1918. L’histoire de l’aéronautique toulousaine est lancée.